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TOUT À BROWN-SÉQUARD !…

Monologue fantaisiste dit par Coquelin Cadet de la Comédie-Française.


Voyons ! Quel âge me donnez-vous ?

Vingt-huit ans ?

J’en ai quatre-vingt-dix-neuf ! Et quand je dis quatre-vingt-dix-neuf, j’en ai peut-être plus, parce qu’enfin, vous savez ce que c’est ?… quand on a atteint un certain âge, il arrive qu’on aime bien, de temps en temps ; à avaler une ou deux années… Et alors, quand, après, on veut faire l’addition juste… à moins d’être très bon comptable, on ne s’y retrouve plus.

Eh bien ! maintenant, il n’y a plus besoin de s’occuper de ces additions-là… il ne faut plus penser qu’aux soustractions… et pour ça, gloire à Brown-Séquard ! Vous ne savez peut-être pas ce que c’est que Brown-Séquard ? C’est bien ça ! Mais, Brown-Séquard, il est plus grand que la Tour Eiffel, qui est destinée à vieillir… tandis que lui, il est fait pour rajeunir… pour rajeunir les autres, s’il vous plaît !

Parfaitement :

Prenez un homme dans les soixante-dix à soixante-quinze ans, — vous trouverez cela plutôt parmi les vieillards, — portez ce vieux corps à Brown-Séquard. Vlan ! en un tour de main, il vous rendra un corps tout neuf.

Vous me direz que c’était une idée qui existait déjà, puisque, depuis longtemps, vous voyiez, sur toutes les affiches de chapeliers : "Donnez quatre francs et un vieux chapeau, on vous en rendra un neuf. Mais, enfin, ce n’était en pratique que chez les chapeliers, et c’est déjà très beau d’avoir pensé à appliquer cette idée-là à l’humanité…

Et puis, et puis enfin, Brown-Séquard ne vous demande pas quatre francs pour ça !

Qu’est-ce que vous voulez ; moi, je mets cet homme-là beaucoup plus haut que Musset ou Victor Hugo.

Vous me direz : "Ceux-ci ont chanté la force, l’amour et la jeunesse !…" Mais j’aime beaucoup mieux l’autre,