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LA MI-CARÊME


C’est Mi-Carême.

Sur le boulevard, l’encombrement est énorme. Dehors, les masques gouailleurs qui traversent la cohue en vainqueurs, la foule grouillante qui les suit et se bouscule, toute cette masse humaine qui parle sans s’entendre, crie, se rue ou s’invective, soulève dans l’air une lourde rumeur qui envahit la tranquillité de vos appartements clos tandis que le son rauque des cors vous jette comme un appel désespéré.

Allons ! bon gré mal gré, il faut céder, et bientôt vous vous trouvez mêlé au tout Paris qui s’amuse.

Un moment vous êtes ahuri ! La foule est compacte et vous avez peine à vous faire place. Dame, vous n’êtes pas costumé, vous ! l’on ne vous doit point d’égards.

Digne et fier, avec la suffisance d’un grand premier rôle qui a conscience de sa valeur, le masque joyeux promène à travers la masse son déguisement fait de quelque oripeau défraîchi dont les couleurs bariolées et les paillettes dorées lui donnent des illusions de richesse. Les gamins le suivent, applaudissant à son succès, et poussant, dans leur gambades, des cris d’admiration qui chatouillent son amour-propre. Puis passe un autre masque ; un masque encore mieux mis que lui et soudain, le voilà supplanté. La bande d’alouettes vole au miroir qui brille davantage et il se voit ravir d’un seul coup, tous ses adulateurs. Il est curieux, mais il ne dit rien, il continue sa marche avec calme, et peu à peu, grappillant sur sa route d’autres admirateurs, il ne tarde pas à se refaire une autre suite aussi fragile de courtisans.

Mais voyez-vous là près, ce joyeux couple qui s’avance,