Page:Feydeau - Théâtre complet IV (extraits), 1995.djvu/183

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bras dessus bras dessous ? L’homme a sur le visage un masque grotesque de carton. À la mise, vous reconnaissez facilement un ménage d’ouvriers. Lui est plombier, elle est blanchisseuse. Dans le ménage, on gagne peu ; mais on est jeune et l’on aime bien à s’amuser. Aussi l’on a tenu à célébrer la mi-carême tout comme un autre. Pas de costumes somptueux ! pas de velours et de dorures ! Tout cela coûte trop cher et l’on peut rire à bien meilleur marché !

Le matin, l’on s’est pris par le bras et gaîment s’est rendu au bazar le plus proche.

« Avez-vous un masque bien comique pour moi ? », avait demandé le jeune plombier. Et l’on s’était mis à farfouiller dans tous ces masques en carton, faces livides ou rubicondes, aux types excentriques, aux expressions ridicules, les essayant les uns après les autres, hésitant, discutant, se concertant et ne se décidant jamais, au plus grand énervement du commis qui souriait d’un air de pitié.

Enfin, l’on s’était arrêté à une bonne figure de jocrisse dont les yeux étaient louches, dont la bouche riait niaisement jusqu’aux oreilles, et dont la trogne articulée serpentait ridiculement dans l’air.

« Et pour Madame ? » avait demandé le commis.

— Oh moi je n’en prends pas ! et la petite blanchisseuse avait laissé tomber des grands yeux doux pleins de tendresse sur son époux. Puis l’on était parti. Le plombier, après avoir solidement attaché son masque derrière la nuque, avait couvert sa tête d’un gigantesque bonnet de coton dont la mèche se dressait en l’air comme un clocher, et ainsi paré, sa femme au bras, avait allègrement gagné le boulevard.

Et vous le voyez maintenant, traversant la foule qu’il fend à pas pressés ; les gamins le suivent, et les badauds se retournent. Le voilà mis à l’aise par son succès ; lui timide, il a pris de l’audace, et déjà il apostrophe les autres masques, il s’arrête, il plaisante, et l’on se groupe autour de lui ! Les gamins se tordent et sa femme est radieuse ; puis il poursuit sa route capricieuse, se retourne encore, lance quelque lazzi joyeux, et se remet en marche, avec son nez qui ondule, et trimbalant toujours après lui sa petite femme toute fière de son homme.

Et la foule qui se renouvelle sans cesse, entraîne avec elle nos deux héros qui disparaissent à notre vue.