Page:Feydeau - Théâtre complet IV (extraits), 1995.djvu/22

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parlerai ! je lui dirai… je ne sais pas ce que je lui dirai, mais j arrangerai tout.

René. — Merci, mon pauvre ami ! Il est des choses qu’on n’arrange pas !… Ce duel, personne ne peut l’empêcher, il s’agit de la plus grave des insultes, entends-tu, une insulte qui suffirait à ternir notre réputation, et ce sont là de ces choses qui ne s’effacent que dans le sang.

Robert. — Une insulte ! monsieur ! Est-ce qu’on se bat pour une insulte ? Mais moi qui vous parle, j’en ai reçu plus d’une dans ma vie et je ne me suis jamais battu ! je ne m’en porte pas plus mal, voyez-vous. Tenez : un jour, Emile, votre ancien cocher, m’a appelé, je ne sais pas pourquoi, « vieux dindon ! » savez-vous, ce que j’ai fait, je l’ai traité de « grand veau ». Nous, nous en sommes dit de toutes les couleurs, nous avons eu chacun notre part, de sottises, et nous n’avons pas pour ça versé une goutte de notre sang.

René. — Ce n’est pas la même chose, mon bon Robert : ici, c’est une affaire d’honneur ! le nom de ma mère a été calomnié indignement par un journaliste infâme… un de ces écrivassiers tarés qui trouvent un renom facile en versant le venin sur tout ce qu’il y a de saint et de respectable ! Ma mère a été cruellement blessée, je le sens, je le vois… Mais son amour pour moi la force à se taire ! son cœur saigne en silence et elle préfère se sacrifier dans sa tendresse aveugle plutôt que de me voir exposer ma vie… Heureusement, cet article, je l’ai lu ; et avant peu, vois-tu, ma mère aura été vengée et notre honneur satisfait.

Robert. — Calmez-vous, monsieur René !

René. — Oh ! je suis calme !… Ecoute, Robert, j’aime à croire que tout se passera bien… Cependant on ne peut répondre de rien, n’est-ce pas ?… Si, par hasard, quelque malheur arrivait… (essuyant une larme) si je ne devais plus vous revoir, voici certains papiers que tu remettrais à ma mère ainsi que cette lettre, une lettre où je lui demande pardon pour toute la douleur que je lui aurai causée, et cette autre pour ma petite Germaine, ma fiancée ; les deux seuls êtres que j’aime au monde avec toi, mon bon Robert. (Il lui serre les mains avec effusion.)

Robert, essuyant une larme. — Mon cher maître !

René. — Allons, n’est-ce pas, je puis compter sur toi !…