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d’entrée et je ne crus pas me tromper en lisant sur ses traits, à ma vue, une détente joyeuse.

Il semblait m’attendre et, dès qu’il me reconnut, il eut l’air de s’installer plus confortablement devant son couvert, comme un amphitryon qui se dirait : enfin voici mon invité, nous allons pouvoir dîner tranquillement.

J’épiais ces nuances en affectant l’indifférence, car les jeunes filles ont un talent particulier pour voir les choses sans paraître les regarder.

Je m’assis avec un calme que j’étais loin d’éprouver. Nous étions placés de telle sorte que nous nous faisions vis-à-vis à travers deux tables de dîneurs. Avec un peu de bonne volonté, nous pouvions échanger un salut et un sourire. Ce à quoi nous ne manquâmes pas. Nous ajoutâmes même à ce salut une expression étonnée comme si nous ne nous attendions pas à nous voir. L’hypocrisie mondaine intervenait pour masquer mutuellement notre contentement.

J’essayai de modérer ma joie en prenant un maintien réservé. Ce n’était pas que je manquais de retenue ordinairement, mais mon isolement dans la vie était tellement grand et mon âme cherchait tant l’expansion que j’étais prête à manifester mon enthousiasme en toute innocence. Si je m’étais abandonnée aux élans de mon caractère, j’aurais souri le plus aimablement du monde, je me serais arrêtée sans vergogne près de Gustave Chaplène et je lui aurais serré la main avec effusion.

Mais il fallait contenir mon exubérance. Mon naturel ne pouvait se donner libre cours. Je devais adopter une attitude un peu froide et ne jamais m’en départir.

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