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je connaissais un monsieur comme papa, je crois bien que je pourrais me marier, mais je suis sûre que maman ne voudrait pas…

Mme  Dravil donnait libre cours à son hilarité, et devant cette attitude Suzette eut une moue.

— Je vous assure, Madame, que je saurais fort bien être mariée… Les repas sont confectionnés par la cuisinière et le ménage par la femme de chambre… On attend son mari pour déjeuner et dîner… Quant aux enfants, il y en a plein le Luxembourg et il n’y a qu’à choisir… On entend beaucoup de mères qui disent : « Oh ! le vilain !… Je te donnerai à l’homme noir… tu es trop méchant ! » Alors, on peut saisir l’occasion… On peut aussi en acheter un tout petit à une nourrice… Ceux-là sont moins chers…

— Horreur !… cria Madame Dravil.

— Tiens, vous parlez comme maman…

Huguette ouvrait des yeux énormes et considérait son amie comme un phénomène.

Suzette n’avait pas conscience de l’étonnement qu’elle provoquait. Grisée par cette journée d’indépendance et d’événements sensationnels, elle développait sa personnalité, mélange de naïveté et d’orgueil. Tout lui paraissait facile, parce qu’elle était allée seule dans la rue, qu’elle avait fait seule la connaissance de personnes étrangères aux relations de sa famille.