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l’ombre s’efface

raissait ce soir-là comme un artiste qui a déposé son rôle.

S’il m’intéressait moins, il me captivait autant, car sa beauté se transformait. Il semblait plus jeune, presque un adolescent. Dans sa voix passaient des inflexions tendres, et bien que je fusse sa cadette, je ressentais pour lui, maintenant, une affection maternelle.

Oh ! je n’analysais pas ce sentiment, mais je considérais ce jeune homme comme un faible qui avait besoin d’être dorloté, choyé et réconforté.

Je n’avais aucune promesse d’enfant jusqu’alors, mais une soif de maternité me posséda soudain, et j’aurais voulu serrer sur mon cœur un petit ange qui ressemblât à Hervé.

J’enviais sa tante qui causait familièrement avec lui.

— Alors, jeune Adonis, qu’as-tu fait de ta journée ?

— J’ai pensé à une femme.

En lançant cette repartie, Hervé me regarda. Je baissai le front, mais Mme de Sesse avait surpris ce jeu.

Je ne m’en inquiétai pas. Que la femme à qui ce jeune homme avait rêvé fût moi ou une autre, cela n’avait aucune importance.

Mme Saint-Bart rit en répliquant :

— Cela n’a pas dû te fatiguer beaucoup, si c’est là tout ton travail !

— Il est beaucoup plus absorbant que vous ne le supposez, ma tante. Tout dépend des cas. Imaginez que j’aie entrepris la conquête d’un cœur inaccessible ? Vous pouvez alors en déduire les problèmes qu’il me faut résoudre pour l’amener à ma merci.

Mme de Sesse abandonna son mutisme pour protester :

— Quelle conversation ! Vous allez vous faire bien mal juger par Mme Rodilat.

Je voulus ne pas paraître choquée, et d’ailleurs je ne l’étais pas, et je m’écriai :

— Oh ! j’ai les idées larges ! Je sais comprendre la plaisanterie, et M. Hervé nous raconte ces fantaisies pour mesurer notre sensibilité et nos réactions.

— Bien trouvé ! lança l’intéressé.

Son regard se posa de nouveau sur moi. Il fut tellement insistant qu’il me gêna. Je trouvais cette atten-