Aller au contenu

Page:Fiel - Le fils du banquier, 1931.djvu/34

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Le concierge ajouta :

— Si Monsieur n’avait pas eu cet accident, les choses se seraient arrangées autrement ; mais, pour le moment, il est cloué ; mais ça reviendra…

L’homme, dans cet espoir, eut un retour de respect. Il n’avait jamais eu à se plaindre de son patron et il se pouvait qu’il eût recours à lui plus tard. Il fallait être prudent.

Décontenancé, Gérard prit l’adresse exacte, expliquant que, revenant d’Amérique, il n’avait pas eu d’autres nouvelles.

— Les courriers prennent du temps.

— Je crois bien, et vous voyez, M’sieu Gérard, ce qui peut arriver en quinze jours !

Le jeune homme reprit un taxi pour se faire conduire. Il ne voulait pas perdre une minute de plus pour ce revoir qu’il appréhendait autant qu’il le désirait. Les idées les plus contradictoires se pressaient en foule dans son cerveau, et la question matérielle y occupait une place prépondérante. C’était peut-être la seule que Gérard n’eût jamais agitée, et il arrivait qu’elle le dominait de toute sa puissance.

Comment son père s’y prendrait-il pour vivre ? À entendre Boreul, le banquier avait fait argent de tout et il restait encore un client à rembourser, un ami qui attendrait.

Donc M. Manaut ne possédait plus rien…

Gérard frissonna. Penser que l’on est seul au monde pour subvenir à ses besoins n’est pas un malheur quand on a pour soi la jeunesse avec la force. Mais savoir que la vie d’un malade dépend de votre initiative est terrible lorsqu’on n’a pas été habitué à gagner sa vie.

Le jeune homme ne pensait pas sans angoisse à ce problème auquel il n’était pas préparé. Il ne s’attendait pas à une calamité aussi complète. Il comptait sur l’appui effectif de son père, sur ses conseils, sur son entraînement vers le but déterminé. À deux, le fardeau est plus léger.

Ce fut le cœur battant que le jeune homme descendit de voiture. Il régla le chauffeur qui démarra dans la petite rue silencieuse.

Gérard jeta un coup d’œil autour de lui. Ce qui l’environnait manquait d’élégance, et il fut atteint dans ses goûts. Mais il ne fallait pas s’attarder sur des faits aussi insignifiants.

Il s’engouffra rapidement sous la porte cochère et demanda où habitait M. Manaut. Un concierge rébarbatif lui répondit :

— Au troisième, porte à gauche.

Ce fut lentement que Gérard monta degré par degré l’escalier sans tapis. Par habitude, il avait cherché la cage de l’ascenseur, mais il n’en existait pas dans l’immeuble.

Il sonna, presque défaillant, à la porte indiquée.