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devant la grille, et Colette pâlit et eut des battements de cœur qui l’empêchèrent de parler.

M. Tiguel s’écria :

— Monsieur Balliat !

Il alla au devant du visiteur qui lui dit :

— Je m’excuse de vous déranger, alors que je vous avais affirmé que je ne viens jamais ici, mais une raison impérieuse m’y a poussé cet après-midi : j’ai oublié de vous donner la clef de la cave où se trouve une source… L’eau du robinet de cuisine n’est pas fameuse…

— Nous n’en avons pas bu, ayant apporté notre boisson…

Pendant que ces paroles s’échangeaient, Jacques Balliat se rapprochait du banc, et M. Tiguel présenta sa femme et Marcelle. Il dit en désignant Colette :

— Vous reconnaissez ma fille, n’est-ce pas, Monsieur ?

Les deux jeunes gens se serrèrent la main, alors que Marcelle regardait, enregistrait. En elle montait toute une vague de sensations mauvaises. Toute sa gaîté se transformait en colère et en jalousie.

Comment, Colette connaissait ce charmant jeune homme et le lui avait caché ! Elle s’expliquait maintenant son humeur sereine, ses silences, ses rêveries… Ah ! elle allait se marier ! C’était un beau parti sans aucun doute, parce que ce jeune homme se présentait bien… Il causait agréablement et paraissait de bonne condition. Il devait avoir une situation enviable… Ah ! cette perfide Colette ! c’était donc pour cela qu’elle ne tenait pas à ce que je vienne ! Elle savait qu’il arriverait sans crier gare, sous un prétexte quelconque et elle n’avait pas prévenu ses parents ! Ah ! ma fille, tu me le paieras ! C’est pourquoi, elle fait cette figure depuis ce matin. Et il la regarde… Et il la regarde !… Comment l’a-t-elle connu ? Elle n’en disait rien, cette fausse amie. Et moi qui lui offrais le cousin de Léonie ! J’étais bien bonne !

Colette ne se doutait guère des pensées qui remuaient Marcelle. À dire vrai, elle ne se rendait compte de rien. Elle était trop émue et elle jetait à la dérobée des regards sur Jacques Balliat. Chaque fois, elle s’apercevait qu’il avait les yeux sur elle, et cela augmentait sa gêne.

Mme Tiguel sauvait la situation. Elle parlait d’abondance, vantant le charme de la maison, ne tarissait pas sur le plaisir qu’ils ressentaient tous à s’y trouver, et parlait de la mère du jeune homme. Elle la plaignait d’être immobilisée, et elle assurait que ce cas comportait des guérisons rapides. Elle promit d’aller la voir.

Jacques Balliat répondit que sa mère serait enchantée d’avoir