Page:Fiel - Le roman de Colette, 1945.djvu/12

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
— 10 —

Ah ! c’est peut-être un prétendant ? Cependant… un ami de ton père… Tu ne réponds pas ?

— Que veux-tu que je te réponde ? Tu parles selon ton imagination… Tu inventes un roman… Cela t’amuse, libre à toi ! Nous passons la journée ici, pour nous amuser à notre guise, tu peux donc broder et rebroder sur des thèmes variés…

— Quelle réponse bizarre ! Veux-tu que je te révèle une chose ? Eh ! bien, c’est que tu n’aimes pas que je te parle du propriétaire de cette maison… Cela t’agace, je ne sais pourquoi, et tu aurais préféré que je ne vienne pas avec vous…

— Tu continues à dire des bêtises…

— Je n’en ai pas l’impression…

Colette ne protesta pas. Elle s’étonnait de la divination de Marcelle… Oh ! oui, elle aurait voulu être seule dans ce charmant jardin, seule avec ses pensées. L’effort de la conversation l’exténuait, et elle se sentait irritable, elle si égale de caractère.

Mme Tiguel vint s’asseoir à côté des jeunes filles.

— Ton père est dans la joie… tes frères sont fous de plaisir. Ils ont déniché un jeu de fléchettes, un jeu de tonneau et un cerf-volant. En voilà plus qu’il n’en faut pour une journée… Ils ont déjà perdu leurs figures de Parisiens et ont des joues rouges… Et vous, petites, l’air vous est-il salutaire ?

— Pour mon compte, répliqua Marcelle, je suis au septième ciel, et je savoure ma paresse ! Ne rien faire, sur un banc, au soleil, est un plaisir incomparable !

— Et toi, Colette ?

— Moi, je jouis du silence… cela me semble extraordinaire.

— Il est certain qu’il faut parler un peu, sans cela on se croirait au fond d’un puits. Tout à l’heure, quand j’étais dans la cuisine, il a fallu que je fasse tomber quelque chose pour faire un peu de vie !… Je me croyais sourde…

— C’est une excellente idée ! s’écria Marcelle.

Midi vint rapidement et le repas fut des plus appréciés, parce que chacun sentait son appétit doublé. L’air, l’exercice produisaient leur effet et Mme Tiguel eut peur soudain de n’avoir pas assez garni son garde-manger.

La mère contemplait ses enfants avec joie… Ah ! si l’on pouvait renouveler souvent pareille partie de plaisir !

Après le déjeuner, les garçons retournèrent à leurs jeux. M. Tiguel fuma un cigare en lisant son journal et les trois femmes s’occupèrent à remettre de l’ordre. Puis, elles rejoignirent M. Tiguel.

Alors que les quatre personnages devisaient, quelqu’un s’arrêta