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Marcelle repartit le cœur chaviré. Que s’était-il passé ? Jacques Balliat était-il venu accuser Colette ? Une ombre brusque s’étendit dans son âme, une ombre harcelante qui ne la quitta plus ! Ah ! qu’il était dur de faire du mal ! quel remords glaçait le cœur ! Combien elle était heureuse trois jours auparavant, lorsque sa conscience était claire.

Si Colette allait mourir par sa faute ? La voisine de palier rencontrée, lui apprit que son amie luttait contre une fièvre cérébrale… Quelle horreur ! que tenter pour la sauver ? Offrir sa vie ? faire un vœu ?

Marcelle ne dormit pas. Elle imaginait les souffrances de Colette et aurait voulu les ressentir réellement. Elle se leva, brisée, se demandant si elle ne devait pas courir chez Mme Balliat pour s’informer de ce que son fils avait pu dire d’irréparable. Mais elle ne pouvait pas, si tôt, si vite, se présenter chez une malade. De plus, il fallait qu’elle allât à l’atelier, et même qu’elle y travaillât double pour remplacer Colette.

Elle partit, n’osant pas déranger Mme Tiguel. Elle aurait voulu que le soir fût déjà là, car elle n’en pouvait plus de souffrance et d’inquiétude.

« Je suis punie… je suis punie » murmurait-elle dans la rue, sans souci des passants qui pouvaient l’entendre. Son pas était de plus en plus rapide, et en marchant si vite, elle se figurait que le temps passait plus promptement. La sortie de l’atelier eut lieu au bout d’une journée si longue… si longue que Marcelle se crut vieillie de cent ans. Elle appréhendait d’aller chez les Tiguel, et son agitation croissait à mesure qu’elle se rapprochait de la maison. Cependant elle ne pouvait s’abstenir d’aller prendre des nouvelles de son amie. Ses jambes fléchissaient en gravissant l’escalier. Elle fut tout de même devant la porte, et quand Mme Tiguel vint lui ouvrir, elle devina tout de suite, que Colette était mieux.

— Le docteur nous a rassurés… Il est venu de bon matin, nous avons tous passé une mauvaise nuit et mon pauvre mari était comme une loque. Les symptômes alarmants ont disparu en partie, et le docteur a conclu que ce n’était qu’une alerte… Le mal de tête a presque cessé, la fièvre est moins forte. Tu penses si mon mari a été heureux ! Au moins il a pu partir pour son travail en toute liberté d’esprit… Elle ne pourra pas encore te recevoir aujourd’hui…

En prononçant cette dernière phrase, le ton de Mme Tiguel changea subitement.

Elle avait d’abord parlé comme une femme heureuse d’être délivrée d’un fardeau douloureux, et soudain, elle pensa qu’elle s’adressait à celle qui, certainement, était la cause de ces heures néfastes.