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marane la passionnée

grande encore. Je sentais qu’elle ne pouvait presque plus me voir et que cela lui était une douleur de me regarder en face. Ainsi, sauvée de tant de réels et d’obscurs encerclements, ma mère m’en voulait !

Je n’arrivais plus à la comprendre. Je ne pouvais dormir. J’étais malheureuse.

Bien que l’heure fût tardive, je voulus ressortir.

— Oh ! tu t’en vas encore ? interrogea maman, qui, sur son prie-Dieu, invoquait le Ciel, sans doute pour moi.

— Oui, l’air me fera du bien.

— Tes remords t’empêchent de dormir ? me souffla maman d’une voix oppressée.

Je ris et je lançai :

— Des remords ? Je n’en ai pas un ! pas l’ombre d’un !

— Ah ! cria maman, comme si elle s’évanouissait, quel monstre ai-je mis au monde ?

Je la regardai quelques secondes avant de m’en aller et je la quittai en riant.

Oui, je l’avoue, j’avais l’atroce courage de rire.

Mais je perdis bientôt cette dureté dans la nuit étoilée qui m’enveloppait.

Je n’éprouvais nul sentiment de crainte en entendant les vagues mugir, se gonfler et s’écrouler. Le soir était sans lune, mais je voyais clair partout. Les oiseaux de nuit passaient devant mes yeux. Je les voyais battre l’air de leur vol mou. Que tout était beau et calme.

J’aurais voulu dormir là, loin de la fourberie des hommes. Je comprenais le prestige de la nature et tout le calmant qu’elle peut apporter aux âmes.

J’étais contente de ressentir quelques sensations. Depuis la mort du régisseur, je croyais mon cœur devenu de marbre.

Je revins vers la maison. Le vent s’élevait. Il ébranlait les girouettes du toit. Les vitres, mobiles dans leur enchâssement de mastic usé, accompagnaient leur grincement. C’était la vie des hommes qui reprenait.

Je souhaitai que ce vent d’orage devînt tempête. Ma cruauté reparaissait.

Maman me contempla avec la même anxiété quand je rentrai.