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marane la passionnée

J’étais tout indulgence. Je pensais à des devoirs d’humanité. Je me sentais devenir meilleure. Et cependant, tous ceux qui m’entourent me paraissent lointains. Seul, Ned Descré est proche.

Je ne cherche pas à savoir pourquoi je l’aime. Je trouve cet amour naturel. Il est venu à moi, simplement. C’est ainsi que les vies doivent se nouer.

Je chemine dans les sentiers et la présence de Ned m’y suit. Je suis heureuse. Je n’éprouverai certes pas plus de joie quand je m’en irai à son bras et quand le murmure de ses paroles chantera à mes oreilles.

Ah ! que le lendemain de mes dix-huit ans me paraissait doux ! Jamais je n’avais contemplé avec autant d’extase le soleil qui disparaissait rayon par rayon. Jamais je n’avais remarqué cette ardeur sortie de la nuit et qui fait pressentir une vie nocturne active.

Quelle exaltation je vécus, me sentant indigne de mon bonheur, m’y accrochant, le désirant de nouveau parce que je le méritais, pour me trouver, soudain, confuse devant lui.

J’aurais voulu posséder l’âme d’un petit enfant, afin de pouvoir dire à l’être que j’aimais : « Me voici, nous avons souffert, oublions notre peine, nous serons un monde nouveau. »

C’est avec une impétuosité que je ne me soupçonnais pas que j’allais vers cette clarté de l’amour. Je me comparais à une fleur qui sort de terre, malgré les frimas essuyés. Rien ne peut l’empêcher de fleurir quand arrive le printemps.

Ah ! que j’étais joyeuse et vive ! J’avais des ailes et mes talons ne touchaient plus le sol.

Je n’allai vers les Crares que quelques jours après mon anniversaire. J’étais toujours enveloppée de ma cape, je portais toujours mes lunettes teintées qui métamorphosaient la couleur des fleurs.

Je me promenais ce jour-là, jusqu’aux limites de notre parc, quand, venant vers moi, j’aperçus M. Descré.

Je devins timide soudain. Mon rêve était là, tangible. Je crus ne pouvoir supporter sa vue. Il me fallut un très gros effort pour tenir mon rôle. Ah ! que celui que j’aimais me parut grand et beau ! Sa démarche aisée avait une cadence harmonieuse et je ne pus m’empêcher de l’admirer.