Page:Fiel - Marane la passionnée, 1938.pdf/184

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
184
marane la passionnée

Maman épiait les jeux de ma physionomie. Elle voyait, tour à tour, ma bouche serrée ou souriante, la flamme de mes yeux qui voltigeait, douce ou joyeuse. Par moments, je redressais le buste et, à d’autres, je m’affaissais comme un pantin sans ressort.

À l’instant où j’eus cette dernière attitude, maman murmura :

— Quelle vie tu as en toi !

— Ah ! je ne la sens guère ! Il me semble, au contraire, que dix morts m’accablent. Je ne sais plus si j’existe ! Tout me paraît affaibli, lointain et cruel. Je n’aurai de paix que lorsque j’aurai revu M. Descré.

— J’ai peur de cet entretien.

— Il faut cependant qu’il ait lieu. Je ne puis rester avec cette réputation abominable. Il me semble qu’un fer rouge me brûle.

— Je suis torturée de te savoir parlant seule avec cet inconnu. Je devrais t’accompagner.

— Ce serait grotesque, puisque je suis ta dame de compagnie.

— Ces mœurs nouvelles me bouleversent. Vous prenez tant d’initiative, vous autres jeunes filles, maintenant.

— Ah ! maman, c’est fort heureux ! On défend son bonheur, son honneur, on sait où l’on va, et, si l’on montre ses défauts, l’entourage compte avec. On développe son énergie.

— Que tout cela est peu féminin !

— Hélas ! il faut du courage et de la force, puisque les plus faibles sont vaincus. Il s’agit de ne pas se laisser prendre au jeu d’un Chanteux. Tu tremblais devant lui. Pense à ce que serait devenu Évariste si j’avais eu peur, moi aussi.

Ma mère se tut. Mes paroles portaient évidemment.

Je passai la soirée dans une agitation extrême. Mes pensées tumultueuses m’absorbaient. En vain, maman essaya-t-elle de distraire mon esprit. Je ne pouvais m’associer à son effort.

J’aurais voulu ne pas me coucher. Je savais que je ne pourrais dormir. Dans mon cerveau enfiévré, j’entassais argument sur argument, afin de présenter dignement la défense de Marane de Caye.