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marane la passionnée

XVI


Jamais ma cape ni mes lunettes ne m’avaient semblé si lourdes que ce jour-là.

Je marchais d’un pas saccadé et je parlais tout en gesticulant. J’étais prête, Dieu me pardonne ! à haïr celui que j’aimais tant. Je trouvais invraisemblable qu’un homme pour qui je ressentais tant de tendresse pût croire tant de mal d’une jeune fille qui ne vivait que pour lui.

La télépathie était en faillite.

L’après-midi avait un ciel gris un peu nacré. Il convenait à mes sentiments ; il était indécis. J’en arrivais à être perplexe. J’avais juré que je n’aimerais que M. Descré, puis, je m’étais dit que je ne voulais pas épouser un être près de qui j’aurais à me défendre. À l’heure présente, je flottais dans ma volonté.

Je trouvais dur de sacrifier cet amour qui me paraissait si beau et je me jugeais lâche de le provoquer. Puis, je me raccrochais à cette pitié due à ce malheureux bafoué par une femme.

N’était-il pas digne d’une tendresse sincère ? Pouvais-je abandonner un de mes semblables à sa solitude morale, lui laisser croire surtout que toutes les femmes manquaient de cœur ?

Ne témoignait-il pas à leur égard d’un peu de mépris, bien qu’il estimât Maria Lespir.

Mes raisonnements se heurtaient à mille pensées extravagantes, alors que mon âme se grisait de mille leurres qui me paraissaient convaincants.

Je sentais que mon cœur n’était plus qu’une pauvre chose torturée et que tout mon bel amour s’exhalait de mon être en un amer regret.

Je souffrais avec passion.

Je gravissais le sentier comme on monte à l’assaut. Mais, à mesure que je me rapprochais du but, je me tourmentais.

L’inquiétude me dévorait. Pendant quelques secondes, j’eus la pensée de fuir, de laisser là toute lutte, toute peine