M. Descré m’interrompit pour s’écrier :
— Cette jeune fille est étonnante !
— Il a fallu que sa mère s’opposât fermement à une démarche aussi inconsidérée. Vous jugez quel scandale aurait eu lieu si Marane de Caye, introduite près de ce veuf, lui eût dit : « Je sais que Jeanne était méchante et rusée et que vous avez dû vivre de biens mauvais jours en sa compagnie ! » Ces choses se pensent, mais…
Je n’achevai pas ma phrase. M. Descré marchait à grands pas sur la plate-forme étroite et j’eus peur qu’il ne tombât à la mer.
— Faites attention !
— C’est vrai, répondit-il en passant la main sur ses yeux.
Il y eut encore un silence. Une mouette cria et M. Descré sortit d’un rêve pour m’adresser la parole :
— Pardonnez-moi. Mon esprit s’est égaré vers d’autres voies. Je trouve cette jeune Marane si franche, si vraie. Ah ! que ce serait reposant d’être compris par une âme pareille !
Je restai tout interdite devant le bonheur qui s’épanouissait en moi. Marane de Caye commençait à être vengée.
— Mademoiselle, ne vous étonnez pas de mon émotion, en écoutant de votre bouche la défense de Mlle de Caye. J’ai de bonnes raisons pour trouver à votre récit des sujets d’étonnement. Non, M. de Nadière n’a pas été heureux avec sa femme, et Mlle de Caye a vu juste.
Mes yeux, sous mes lunettes, s’agrandissaient de surprise. Ce fut comme une hallucinée que j’entendis M. Descré ajouter :
— Je me sens en confiance avec vous, et je vais vous avouer que je suis Renaud de Nadière.
— Ah ! vous ! Et votre femme était…
— Jeanne de Jilique !
C’était lui, Renaud de Nadière ! Mon amour pour lui renaissait ! M. Descré m’avait blessée en me répétant ce que l’on disait de moi ; mais M. de Nadière était celui que j’aimais et que je devais réconforter.
Juste ciel ! J’arrachai mes lunettes que je jetai à la mer. Je me débarrassai de ma cape, de mon voile. Mes nattes apparurent. Rasco et Sidra les attrapèrent dans leurs mâchoires, en m’encadrant, et je criai :