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marane la passionnée

je pu vivre à côté de Jeanne sans l’écraser de mon mépris ? Pouvais-je rester dans le même air qu’elle ? J’ai l’âme déchiquetée.

Je m’étais assise. Les bras allongés sur mes genoux, le buste penché en avant, je me tins quelques minutes silencieuse.

— Pourquoi n’as-tu pas averti ma cousine de ton départ ? Il va y avoir un affolement dans la maison, les domestiques vont être au courant et ta réputation en souffrira !

Je ris en répondant :

— En quoi cela intéresse-t-il le monde ?

— Tu ne te marieras jamais !

— Eh bien ! si mon futur mari s’effarouche de cette équipée, ce sera un être bien falot. Il sera intelligent, mon mari, et il s’apercevra que je suis loyale. Personne ne pouvait me forcer à rester dans un endroit où je me déplaisais, où tout me rappelait ma douleur. Ah ! maman, j’aimais tant Jeanne.

J’éclatai en sanglots.

— Ne pleure pas, ma petite fille. Elle n’était pas digne de toi, et il ne faut pas regretter ceux qui ne vous comprennent pas.

— Maman ! maman ! gémissais-je.

Mais ma mère ne s’occupait plus de moi. Son visage était empreint d’angoisse.

— Qu’as-tu ? Qu’écoutes-tu ? Ce sont Jeannic et Noël qui marchent dans la maison.

— Non.

Les traits de maman étaient couleur de cendre et ses mains tremblaient.

— De quoi as-tu peur ?

— Je n’ai pas peur !

— Que se passe-t-il dans cette maison ? criai-je en me redressant, les yeux secs.

— Tu… tu vas le savoir, bégaya ma mère en se tordant les mains. C’est… c’est Évariste.

— Évariste ? Il n’est donc pas reparti ?

— Non, non, il a voulu gérer l’exploitation avec Chanteux, malheureusement, il…