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marane la passionnée

Jean-Marie me contemplait. Il était pâle dans le jour gris. Il se leva brusquement.

— Qu’est-ce qui te prend ?

— Rien ! articula-t-il.

Il fit quelques pas, puis se rassit près de moi.

— Ah ! Jean-Marie, tu es bien gentil de vouloir être mon ami.

Alors Jean-Marie s’inclina vers moi et me prit la main. Son regard me brûla et la moiteur de ses doigts me causa une horreur sans nom.

Je me dressai d’un tel bond que mes chiens sautèrent comme des catapultes. Puis, dans mon indignation, je lançai une gifle terrible à Jean-Marie.

Sans m’arrêter à son visage terrifié, violacé, je m’enfuis en courant.

Mon sang bouillonnait. Ma fierté se révoltait. Comment avait-il osé ? Que pensait-il donc de moi ? Soudain, toute la distance qui existait entre lui et moi surgit à mes yeux. Comment avais-je pu croire que ce garçon pouvait devenir mon ami, alors que j’étais si choquée parfois par un son de voix, par une expression vulgaire ?

Ce que j’aimais dans la nature, c’est que, chez elle, rien n’était faux. Tout y était harmonie. Il fallait que mon cœur fût bien assoiffé d’amitié pour avoir commis cette erreur.

Certainement, il avait voulu m’embrasser. Maman m’avait cependant mise en garde, mais à quoi sert l’expérience des aînés en face d’une nature indépendante ?

Je courus vers elle comme vers un abri. J’avais le projet de ne pas lui avouer ma honte, car je me figurais que c’en était une ; mais elle remarqua tout de suite mon état d’excitation. Je tournais comme un toton dans sa chambre,

— Que t’arrive-t-il ?

— Rien.

— C’est impossible ! Tu sembles hors de toi.

Je me regardai dans une glace. J’étais rouge, avec des yeux brillants. Ma mère s’inquiéta, et, avec un tremblement dans la voix, elle dit :

— Je t’en prie, avoue-moi la vérité. J’ai si peur, quand je te sais seule dehors. Je te le défends tellement ; mais si je t’enfermais, je sais que tu sauterais par la fenêtre !