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Page:Fiel - Marane la passionnée, 1938.pdf/74

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marane la passionnée

n’aurez plus à vous inquiéter de rien pour vos vieux jours ». Alors, maman m’a pressé de me montrer aimable envers vous.

— Abomination ! criai-je.

Un voile se déchirait devant mes yeux. Je savais que le régisseur était un homme dangereux, mais je ne m’imaginais pas qu’il irait jusque-là ! Il découvrait son jeu. Les Cordenec étaient ses créatures, et il les appâtait pour apporter la ruine dans notre famille. Sa conduite envers Évariste, son indulgence familière quand j’avais eu la sottise de vouloir faire de Jean-Marie un ami, tout s’éclairait pour moi : Chanteux était notre ennemi.

Quand mon indignation fut un peu atténuée, je demandai à Jean-Marie :

— Il faisait boire mon frère, n’est-ce pas ?

— Oh ! oui, dit le jeune garçon dans un souffle.

— Il voulait ruiner sa santé pour être le seul maître dans le domaine ? c’est bien cela ?

Un signe de tête affirmatif fut la réponse.

Je voulus partir. La rage m’aveuglait. Jean-Marie me retint :

— Vous m’avez pardonné, Mademoiselle ?

— Oui, mon petit, répondis-je avec un air de princesse.

— Merci ! Surtout ne révélez pas ce que je vous ai confié, pour vous rendre service et me faire pardonner. Il pourrait m’en cuire. Chanteux est méchant.

Je le tranquillisai.

Au long du retour, si j’avais écouté ma colère, j’aurais écrasé Chanteux. Je me sentais une âme cruelle, sans effroi de quoi que ce fût.

Je bondis chez maman.

Comme de coutume, elle était dans sa chambre. Mon irruption sans ménagements la fit sursauter et elle me le reprocha doucement.

— Ne sois donc pas si brusque, on dirait toujours que tu descends du plafond.

Je ne prêtai nulle attention à ces paroles, et je clamai :

— Il se passe des indignités autour de nous !

— Qu’y a-t-il encore ? balbutia ma mère devenue blême.

— Ne t’évanouis pas, maman, il vaut mieux prendre des décisions fermes.