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marane la passionnée

— Oui, un ordre.

— Je sortirai quand il me plaira ! J’ai encore quelque chose à vous apprendre, mais ce sera bref : je vous annonce votre ruine prochaine. Bonsoir, Mesdames !

Et Chanteux s’en alla.

Je me tournai vers maman. Elle était effondrée dans un fauteuil. Toute sa force nerveuse était anéantie. Je la plaignis.

— Ce Chanteux est un monstre ! m’écriai-je.

— C’est épouvantable, répondit maman. Qu’allons-nous devenir ? Il nous ruinera par vengeance.

— Ah ! si je pouvais le tuer ! dis-je en serrant les poings.

— Tais-toi, supplia maman d’une voix rauque.

— Mais, c’est un homme effroyable qui doit disparaître de la terre.

— Je t’en supplie, Marane, modère-toi. Il ne faut pas dire des choses semblables, même en ne le pensant pas.

— Je le pense ! criai-je, comment n’y penserais-je pas, ne nous a-t-il pas insultées toutes les deux ?

Ma mère pleurait doucement.

— Que deviendrons-nous ? répéta-t-elle entre ses larmes.

Sa peine me bouleversait.

— Ne crains rien, maman, nous sortirons de cette impasse.

Je n’avais aucune idée sur la façon dont nous pourrions nous en évader, mais les mots de réconfort m’arrivaient spontanément aux lèvres.

— Combien je vais trembler dorénavant, dit encore ma mère. Ce sont de vraies menaces qu’il nous a lancées, et quand nous serons ruinés que ferons-nous ? Il faudra vendre. Et où irons-nous ?

Je frissonnai. Je manquais d’expérience et je ne voyais pas l’avenir avec la netteté qu’y apportait maman. Cependant, il me semblait qu’elle s’égarait.

— Vendre, pourquoi ?

— Quand nous n’aurons plus un sou pour nous nourrir, il faudra bien se résigner à une vente. Ton père a mis tous ses capitaux dans cette exploitation.

J’avais enfin compris. La terreur faisait entrer du froid dans mes os. Quitter ce domaine dans de telles conditions me paraissait une mort honteuse.