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Page:Fiel - Petite Cousette jolie, 1947.djvu/10

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— Je vous regretterai…

Aubrine trouva sa mère occupée à remplir une malle. Elle dit doucement :

— Eh ! bien, mère… voici une catastrophe bien conditionnée.

— Ma pauvre petite…

— Ne me plaignez pas… je ferai face à l’orage. C’est vous que je plains ! être privée de vos habitudes à votre âge… cela me fait de la peine.

— Tu es une bonne chérie… Je suis désolée de penser que tes belles années sont finies.

— Mais peut-être vont-elles seulement commencer !

Aubrine se livra, elle aussi, au sport de la malle à faire. Elle se fit aider, jugeant qu’il valait mieux se servir des domestiques tant qu’on le pouvait.

Les trois jours passèrent rapidement et la jeune fille admirait ses parents qui ne manifestaient nul chagrin. M. Vital annonça que le château était vendu. Mme Vital n’eut pas une parole de regret et pour cause. Aubrine les regardait, atterrée. Pour elle, son cœur était chaviré sans qu’elle le montrât. Elle avait toujours vécu dans ce cadre et elle se retenait pour ne pas pleurer. Elle se raidit pour ne pas manifester son émotion, voulant être à la hauteur d’âme de ses parents.

Le lendemain, ce fut le départ. Aubrine ne songeait plus à la joie qui l’avait parcourue en apprenant qu’elle allait vivre à Paris. Toute la précarité du présent la terrassa. Tout le passé rose disparaissait pour ne laisser que la grisaille de l’incertain. Quand elle débarqua à la gare de Lyon, elle fut frappée par l’aspect sévère de l’endroit, renforcé par un temps brumeux. Pas un rayon de soleil ne perçait.

M. Vital semblait fort à l’aise entre sa femme ahurie par le bruit et sa fille déçue par ce qu’elle découvrait. Un regret rapide effleura la jeune fille. Elle apercevait des femmes chargées de paquets, l’air las et affairé, et elle se disait que sa mère deviendrait sans doute semblables à elles, dans les années qui suivraient. Aubrine avait son attention, attirée par la note pauvre.

Elle chassa ces idées se taxant d’exagération. Pour le moment, sa mère restait élégante et jolie et sa provision de vêtements n’était pas près de s’user.

Quant à elle, son intention était de se cantonner dans la même note, malgré sa pauvreté.

Alors, une idée jaillit de son cerveau… elle entrerait chez une couturière… elle apprendrait à coudre, et, de cousette, elle deviendrait première dans une grande maison… Son avenir était là… Paris, soudain, lui apparut comme un génie qui faisait triompher les volontés tenaces.