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— Une grace, mademoiselle ! Ah, daignez commander. Un ordre de votre bouche sera pour moi la plus insigne faveur. Oui, j’en jure par cette belle main, je sacrifierois ma vie pour vous servir. »

En prononçant ces mots, il saisit sa main et la baisa avec transport. C’étoit la première fois qu’il osoit en approcher ses lèvres ; le sang qui, un moment auparavant, s’étoit retiré des joues de Sophie, y reflua tout-à-coup avec violence ; son visage devint couleur de pourpre, elle éprouva une sensation qu’elle n’avoit pas connue jusqu’alors, et la réflexion lui révéla des secrets que le lecteur saura plus tard, s’il ne les a déjà devinés.

Sophie, dès qu’elle put parler, ce qui ne fut pas sur-le-champ, dit à Jones, que la grace qu’elle avoit à lui demander, étoit de ménager un peu plus son père, dans les parties de chasse qu’ils faisoient ensemble. « Je tremble, ajouta-t-elle, toutes les fois que je le vois partir, qu’on ne le rapporte avec un bras ou une jambe cassés. Au nom du ciel, soyez plus prudent à l’avenir ; et comme vous savez que mon père se fait un point d’honneur de vous suivre partout, jurez-moi de renoncer aux courses téméraires et aux sauts périlleux. »

Tom promit d’exécuter fidèlement ses ordres, et après l’avoir remerciée de sa complaisance, il la quitta, charmé du succès qu’il avoit obtenu.