Page:Fielding - Tom Jones ou Histoire d'un enfant trouvé, tome 1.djvu/317

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pouvoient arriver aux meilleurs comme aux plus pervers des hommes, et qu’ils avoient sans contredit, pour fin, le bien général. C’étoit, à l’entendre, un pur abus de mots, de donner le nom de mal à ce qui ne blesse en rien la convenance morale. La souffrance physique, effet le plus fâcheux de ces sortes d’accidents, étoit la chose du monde la plus méprisable. Il citoit à ce propos plusieurs belles sentences tirées du second livre des Tusculanes de Cicéron, et des écrits du célèbre lord Shaftesbury. Un jour qu’il les débitoit avec une chaleur extraordinaire, il se mordit si rudement la langue, que la douleur le força de s’interrompre, et lui fit même proférer à voix basse un ou deux jurements. Le pis de l’aventure fut que Thwackum étoit présent. On sait qu’il traitoit son adversaire de païen et d’athée. Il s’écria que la justice divine venoit de s’exercer d’une manière visible sur M. Square, et accompagna cette exclamation d’un malin sourire qui mit hors des gonds le pauvre philosophe, auquel la morsure de sa langue avoit déjà fait perdre un peu de son phlegme ordinaire. Incapable d’exhaler sa rage en paroles, Square se seroit peut-être porté à quelque acte de violence, si le chirurgien, qui se trouvoit par bonheur dans la chambre, n’eût, contre l’intérêt d’un homme de sa profession, séparé les deux champions et prévenu une rixe sérieuse.