Page:Fielding - Tom Jones ou Histoire d'un enfant trouvé, tome 1.djvu/323

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pareilles émotions, quand on les éprouve pour la première fois, elles occasionnent un trouble dont on a peine à se défendre. Ici, d’ailleurs, des réflexions chagrines mêloient à leur douceur une secrète amertume. C’est ainsi qu’une substance qui, seule, eût flatté le goût, l’affecte désagréablement lorsqu’elle est jointe à d’autres d’une nature contraire.

D’abord, malgré la confiance qu’inspiroit à Jones l’apparente sensibilité de Sophie, il craignoit de s’abuser en confondant la compassion, ou tout au plus l’estime, avec un sentiment plus tendre. Il n’avoit pas la folle présomption de croire, que l’affection de Sophie fût de nature à lui permettre d’obtenir jamais le prix auquel son amour, s’il étoit encouragé, oseroit à la fin prétendre. Quand même elle ne lui opposeroit aucun obstacle, n’étoit-il pas certain d’en rencontrer d’insurmontables, du côté de son père ? L’écuyer, gentilhomme campagnard dans ses goûts et dans ses mœurs, pensoit en homme du monde sur ce qui avoit rapport à la fortune. Il adoroit sa fille, et il avoit déclaré plusieurs fois à table, le verre en main, qu’il ne la donneroit en mariage qu’au plus riche seigneur du comté : or, Jones n’étoit ni assez vain, ni assez insensé pour croire que M. Western, quelques bontés qu’il eût pour lui, fût disposé à lui sacrifier ses vues ambitieuses.