Page:Fielding - Tom Jones ou Histoire d'un enfant trouvé, tome 1.djvu/91

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

velle… Mais comment exprimer ce dont la seule pensée me trouble et me confond ? » Il s’emporta alors en amères invectives contre les hommes et contre les femmes, accusant les premiers de n’aimer que leur intérêt, et les dernières d’être si esclaves de leurs inclinations vicieuses, qu’on ne pouvoit les laisser un instant, sans danger, avec une personne de l’autre sexe. « Aurois-je pu soupçonner, monsieur, s’écria-t-il, qu’une demoiselle douée de tant de prudence, de jugement, d’esprit, s’abandonneroit à une passion si indiscrète ? aurois-je pu penser que mon frère… Mais pourquoi lui donné-je encore ce nom ? il n’est plus mon frère !

— Il n’a pas cessé de l’être, répondit M. Allworthy ; il est de plus devenu le mien.

— Eh quoi ! monsieur, sauriez-vous l’indigne conduite…

— Écoutez, monsieur Blifil, reprit l’excellent homme, j’ai toujours eu pour principe de tirer des événements humains le meilleur parti possible. Ma sœur, quoique beaucoup plus jeune que moi, est parvenue à l’âge de discrétion. Si votre frère eût trompé un enfant, j’aurois de la peine à lui pardonner ; mais une femme qui a passé trente ans, doit savoir ce qui peut contribuer le plus à son bonheur. Ma sœur a épousé un homme, à la vérité, moins riche qu’elle. Si