Page:Fielding - Tom Jones ou Histoire d'un enfant trouvé, tome 2.djvu/209

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doit plus visibles les larges taches de sang dont il étoit couvert. Il prit ensuite son épée. Au moment de sortir, l’action qu’il méditoit se présenta à son esprit, avec toutes ses conséquences. Il réfléchit que, dans quelques minutes peut-être, il auroit ôté la vie à un homme, ou cessé lui-même d’exister. « Eh ! pourquoi, se dit-il, vais-je exposer mes jours ? Pourquoi ? Pour venger mon honneur. Sur qui ? Sur un misérable qui m’a insulté, outragé, sans la moindre provocation… Mais le ciel ne défend-il pas la vengeance ? Oui, mais le monde l’ordonne. Eh bien ! obéirai-je au monde, en bravant l’ordre exprès du ciel ? M’exposerai-je à la colère divine, plutôt que d’être appelé… Ah ! un lâche ? un poltron ? Je ne balance plus, mon parti est pris, je vais me battre. »

La cloche avoit sonné minuit, tout le monde dormoit dans l’hôtellerie, hors la sentinelle qui veilloit à la garde de Northerton, lorsque Jones ouvrant doucement sa porte, s’achemina vers la chambre de son adversaire, que le garçon d’auberge lui avoit indiquée. On auroit peine à se représenter une figure plus effrayante que celle de notre héros. Il portoit un habit d’étoffe blanche, tout parsemé de taches de sang, son visage étoit d’une extrême pâleur ; car outre le sang qu’il avoit perdu par sa blessure, le chirurgien lui en avoit tiré plus de vingt onces. Une multitude de