Page:Fielding - Tom Jones ou Histoire d'un enfant trouvé, tome 2.djvu/332

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dit-il, je viens d’emprunter deux guinées à un ami. En voici une que je vous donne. » Il me la mit dans la main, et je ne résistai plus à ses désirs.

« Je fus d’abord assez embarrassé de rentrer dans une maison, d’où nous étions sortis d’une manière si malhonnête ; mais je me sentis l’esprit tout-à-fait à l’aise, quand le garçon nous représenta, d’un ton poli, qu’il pensoit que nous avions oublié d’acquitter une partie de notre écot. Je lui donnai aussitôt ma guinée, et lui dis de se payer lui-même, me résignant au reproche injuste dont il chargeoit ma mémoire.

« M. Watson commanda le souper le plus extravagant du monde. Au lieu de simple clairet dont il se contentoit ordinairement, il se fit servir le meilleur vin de Bourgogne.

« Nous fûmes bientôt rejoints par un certain nombre de nos compagnons de jeu. La plupart, comme je ne tardai pas à m’en convaincre, étoient moins attirés par l’envie de boire, que par la soif du gain ; car ils feignirent d’être incommodés, et refusèrent même un verre de vin, s’occupant uniquement à griser deux jeunes provinciaux qu’ils se proposoient de dépouiller ensuite : ce qu’ils firent avec une impitoyable cupidité. J’eus part au butin, sans être encore reçu membre de la compagnie.