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cha, et le pria instamment de la conduire à la ville qu’on lui avoit indiquée. « L’évasion de ce misérable, lui dit-elle, ne me fait aucune peine. La religion et la philosophie nous enseignent toutes deux le pardon des injures. Ce qui m’afflige, monsieur, c’est l’embarras que je vous cause. Ma nudité, d’ailleurs, m’oblige à baisser les yeux devant vous ; et sans le besoin que j’ai encore de votre protection, j’aimerois mieux aller seule. »

Jones lui offrit son habit. Elle le refusa, malgré ses vives instances ; nous ignorons pour quel motif. Il la pria ensuite de bannir le sujet de son trouble. « Madame, lui dit-il, je n’ai rempli qu’un simple devoir, en vous défendant. Que votre pudeur se rassure aussi ; je marcherai le premier, de crainte de l’alarmer. Je ne voudrois pas que vous eussiez à vous plaindre de l’indiscrétion de mes regards, et je n’oserois répondre de pouvoir résister à la séduction de vos charmes. »

Notre héros et la dame sauvée par sa valeur se mirent en marche, dans le même ordre que jadis Orphée et Eurydice. Nous ne croyons pas que la belle usa de ruse pour engager son protecteur à regarder derrière lui. Cependant, elle eut si souvent besoin de son secours, lorsqu’il se présenta des fossés et des barrières à franchir ; elle fit tant de faux pas, qu’il fut obligé de se retourner plus d’une fois, pendant le trajet. Quoi