Page:Fielding - Tom Jones ou Histoire d'un enfant trouvé, tome 3.djvu/38

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vert. Susanne, dont mistress Abigail avoit refusé le ministère avec dédain, eut autant de peine à contenir ses mains, que sa maîtresse en avoit eu à retenir sa langue. Elle ne put cependant s’imposer un silence absolu. Sans rien articuler distinctement, elle marmotta entre ses dents : « Tredame ! on est de chair et d’os comme vous ! » et d’autres réflexions que lui inspiroit la colère.

Pendant qu’on préparoit le souper, mistress Abigail témoigna le regret de n’avoir pas fait allumer du feu dans la salle à manger ; mais elle dit qu’il étoit maintenant trop tard pour y songer. « La cuisine, ajouta-t-elle, aura pour moi le mérite de la nouveauté. Je ne me souviens pas d’y avoir mangé de ma vie. Mais pourquoi les postillons ne sont-ils pas dans l’écurie, avec leurs chevaux ? S’il faut que je fasse ici mauvaise chère, j’entends du moins, madame l’hôtesse, qu’on débarrasse la cuisine, afin que je ne sois point entourée de tous les goujats de l’endroit. Quant à vous, monsieur, dit-elle à Partridge, vous m’avez l’air d’un homme comme il faut. Restez, si vous le trouvez bon. Je ne prétends chasser que la canaille.

— Oui, oui, madame, répliqua Partridge, je suis un homme comme il faut, je vous assure, et il n’est pas si facile de me chasser qu’on le pense.