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Heures de Turin, qui avaient été révélées par M. Delisle en 1884 et signalées pour leur importance artistique à la Société des Antiquaires de France en juin 1901 par M. Durrieu, comptent quarante-cinq feuillets à peintures qui proviennent d’un splendide livre d’Heures, commencé pour le duc Jean de Berry. On trouvera dans les articles de M. Durrieu[1] l’histoire du manuscrit. Nous nous contenterons d’examiner les miniatures qui peuvent être utilement consultées pour l’histoire des Van Eyck.

Le manuscrit s’ouvre par une page d’un coloris délicieux : la Vierge et l’enfant Jésus entourés de saintes. Le type féminin des Van Eyck apparaît, beaucoup moins dans la Vierge d’ailleurs que dans quelques unes des saintes ; celles qui sont vues de face ont le front bombé, les pommettes assez accentuées du type adopté par les Van Eyck. Mais la draperie conserve dans la sainte vue de profil la flaccidité conventionnelle des draperies colonaises ou siennoises. La figure de la Vierge nous montre au contraire une combinaison inédite de plis. Sur tout le corps la draperie est large comme dans certaines statues de l’école parisienne ; dans le bas elle se casse en plis nombreux et angulaires, nouvelle convention remplaçant les volutes des maniéristes. Où est né ce système de cassures terminales ? On est assez tenté d’y voir une création des Van Eyck, lesquels auraient développé à cet égard certaines indications des sculpteurs hollandais et flamands de Bourgogne. Quoiqu’il en soit il ne manque aux figures que nous venons d’examiner qu’une certaine robustesse de dessin et de modelé pour être dignes des peintres de l’Adoration de l’Agneau.

Au bas de cette page, on voit une frise qui représente les Vierges se dirigeant vers l’Agneau mystique ; un groupe semblable se trouve dans le polyptyque de Gand et l’identité de sentiment et de sujet est remarquable entre les deux œuvres. Toutefois les Vierges de Turin sont impersonnelles ; elles portent des vêtements uniformes ; leur grâce est indécise et monotone. Presque toutes méditent leur missel sacré. Les Vierges de Gand sont des martyres, reconnaissables à leurs attributs symboliques ; elles agitent des palmes, sont couvertes de robes et de manteaux luxueux et leur beauté a comme une vigueur qui est refusée à leurs sœurs de Turin.

Vient ensuite la miniature la plus digne d’attention et qui a provoqué les plus curieux commentaires. Un prince à cheval suivi d’une brillante escorte s’avance à quelque distance de la mer et, joignant les mains, lève les yeux vers Dieu le père qui apparaît dans le ciel, entouré d’anges. « Dans le fond

  1. P. Durrieu : Les Débuts des Van Eyck. Gazette des Beaux-Arts, T. 29, 1903.