Page:Fierens-Gevaert, La renaissance septentrionale - 1905.djvu/162

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

sans Pitié, Jean Van Eyck peignit quelques portraits et entre autres celui de la nièce de son maître : Jacqueline de Bavière. Une œuvre du milieu du xvie siècle, conservée au musée national de Copenhague, nous montre cette princesse en costume de l’époque bourguignonne, les cheveux enfermés dans des truffauds emperlés, le vêtement garni d’hermine. Les traits durs et masculins, la bouche pincée, le modelé du cou font penser à la femme de Judocus Vydt, le donateur du Retable de l’Agneau. La vie est absente des yeux et Jacqueline tient un œillet entre ses doigts contournés. Il est permis de considérer cette œuvre comme la réplique infidèle d’un original perdu de Jean.

Nous ne mentionnerons ici que brièvement le Sacre de Thomas Beckett, le trop célèbre tableau de la collection du duc de Devonshire, signé Jean Van Eyck et daté de 1421. La signature et la date sont fausses ; dessin, groupement, costumes, technique, tout est étranger au maître ; le coloris est médiocre, l’ordonnance confuse. Comment les faussaires eurent-ils l’idée de faire de ce tableau, — exécuté vers la fin du xve ou au commencement du xvie siècle — une œuvre de Jean Van Eyck ? Au xviie siècle, une vieille tradition voulait que le maître fût l’auteur d’un portrait de l’évêque Thomas Beckett, encore conservé à cette époque. Le souvenir de cette tradition nous est transmis par une gravure de Wenzel Hollar, qui représente l’évêque, les mains jointes, le crâne fendu par un large coutelas, gravure exécutée sur la demande du comte Thomas Arundel, d’après un portrait que ce grand Mécène tenait pour un original de Jean Van Eyck. L’existence de cette gravure a peut-être inspiré la fausse signature du Sacre.

Le 19 mai 1425, par un décret spécial rendu à Bruges, Jean Van Eyck « jadis pointre et varlet de chambre de feu Monseigneur le duc Jehan de Bayvière », est nommé peintre et valet de chambre de Philippe le Bon. Il entre au service de ce Philippin aux longues jambes, comme disaient les Gantois, « qui tenoit le salut de la France en sa clef et la tranquillité d’Occident en sa main », et qui était le prince le plus riche et le plus artiste de la chrétienté. Comment y entre-t-il ? Avec des faveurs exceptionnelles. Certains historiens estiment que la postérité a injustement oublié le nom de Hubert Van Eyck, et prétendent que l’aîné jouissait de son vivant d’une réputation plus éclatante que celle du cadet. Ils devraient relire attentivement ce décret de 1425 antérieur d’un an à la mort de Hubert