Page:Fierens-Gevaert, La renaissance septentrionale - 1905.djvu/164

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pour le compte du roi de Hollande, Guillaume II. Transportée en Russie, vers le milieu du xixe siècle, l’œuvre qui était peinte sur bois, fut détachée de son fond primitif et transportée sur toile.[1]

Nous sommes dans le chœur d’une église gothique. Les feux du soleil couchant embrasent les vitraux lenticulaires du déambulatoire, tandis qu’une ombre vivante glisse dans le triforium, s’épaissit dans le haut où la verrière de face laisse voir un personnage sacré dans un brusque fond de clarté. Doucement, le décor vibre dans l’attente du mystère. L’ange Gabriel paraît, tenant à la main un sceptre de cristal. Sa chape de brocart, bordée de pierreries et de perles fines, son diadème, le galbe de son visage, font penser aux anges de l’Adoration, tandis que son sourire ingénuement contraint est presque pareil à celui du saint Georges dans la Madone du chanoine Van der Paele, de Bruges. Devant son prie-Dieu la vierge à genoux, drapée d’un large manteau bleu, ouvre les bras d’un geste à la fois étonné, reconnaissant et soumis. Son visage robuste, son menton et son cou pleins, son nez légèrement allongé contiennent l’essentiel du type féminin que Jean immortalisera dans la Madone Van der Paele. La bouche de Marie murmure : Voici la servante du Seigneur ! et ses yeux timidement se détournent de l’Ange. Mais le mystère s’accomplit. À travers les hautes verrières latérales filtrent des rayons obliques ; leurs fils d’or sont le sillage de la colombe, et devant le prie-Dieu, le lys épanouit ses puissantes corolles…

Comme cet admirable volet provient de Dijon, M. Voll suppose que le tableau fut exécuté par l’artiste pendant un « voiaige » en Bourgogne, où il aurait connu le chancelier Nicolas Rolin, lequel lui aurait commandé à ce moment la célèbre Vierge au Donateur du Louvre.

Arrêtons-nous devant ce chef-d’œuvre.

Nous ne sommes plus cette fois dans un décor voilé de lumières mourantes. Tout est clarté. Sous un portique par où le regard atteint un infini d’azur, la Vierge enveloppée d’un manteau pourpre porte l’Enfant, tandis qu’un ange, les ailes semées d’yeux, dépose un diadème merveilleux sur sa tête aux cheveux d’or. On retrouvera dans la Madone Van der Paele ce type de Marie et celui de Jésus, lequel n’est ni rachitique, ni rabougri, comme on le répète, mais qui est un très fidèle portrait de nouveau-né, aux yeux bouffis, aux chairs plissées. En face de la Vierge s’agenouille Nicolas

  1. Cf. Crowe et Cavalcaselle Les anciens peintres flamands t. I p. 91 et Kaemmerer, op. cit., p. 69.