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doute par plusieurs élèves. Nous en avons presque la preuve. Philippe le Bon visita vers cette époque « l’hostel » de son peintre au pont la petite Tour, pour y voir certain « ouvraige » et il exprima sa satisfaction en faisant un don en argent aux élèves, ou, pour parler comme les scribes de Monseigneur, aux « varlets de Johannes Deyk ».[1] Nul doute que le duc n’aît alors contemplé le Retable qui allait être exposé publiquement à Gand dans la chapelle de Judocus Vydt, le 26 mai 1432.

La même année, 1432, nous met en présence d’une Vierge toute mignonne : la Madone de Incehall (près de Liverpool, coll. Weld-Blundell), signée, datée et qui de plus porte l’indication Brugis. Ce serait la première œuvre exécutée par le maître à Bruges, après l’inauguration du Retable de Gand. On lit sur ce petit panneau la fameuse inscription

AAL-IXH-XAN
où l’on a cru déchiffrer ces mots : Als ikh kan, en flamand Comme je puis. On y a vu la devise du maître. Elle apparaît ici pour la première fois et se retrouve dans l’Homme au Turban (Nat. Gallery), la Tête de Christ (musée de Berlin), la Madone à la Fontaine (musée d’Anvers), la Femme du Peintre (musée de Bruges).

Ces lettres singulières, inspirées de l’épigraphie grecque, et qui subissent parfois de légères variantes d’un tableau à l’autre, disent-elles bien ce que l’on croit ? Sont-elles bien la devise de Jean ? Nulle certitude à cet égard et nous aurons à constater qu’au bas de la robe de Dieu le Père, dans le Retable de Gand, les caractères ornementaux qu’y dessinent les perles combinent les mêmes lettres énigmatiques d’une manière indéchiffrable. On a discuté sur le sentiment qui dicta cette devise au peintre. En admettant que Jean aît formulé sa foi artistique dans cet Als ikh kan, ce ne sont pas là, comme on l’a écrit, des paroles d’orgueil. Jean n’a pas entendu dire qu’il peignait comme seul il le pouvait. « Je peins, nous dit-il, en mettant mes forces, ma science, mon amour au service de mon art et de mes œuvres, je peins du mieux que je puis ». Als ikh kan est un sceau d’humilité ardente ; il convient à la sublime conscience du maître et on le découvre sans étonnement sur le chef-d’œuvre qu’est la Madone de Incehall.

Jean peignait volontiers ces œuvrettes pour oratoire, ces petits « taveliaux » portatifs dont le minuscule autel de Dresde, la Madone de Francfort, la Sainte Barbe et la Madone à la Fontaine du musée d’Anvers

  1. Ibid. op. cit. t. Ier p. 266.