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offriront encore de délicieux exemples. Il y déployait un génie de miniaturiste infaillible et ému. Les brocarts rayonnants du baldaquin, la robe bleue de la Vierge relevée au cou d’un galon de perles, les oranges, les clefs, le candélabre, autant de délectations pour l’œil dans cette Madone de Incehall. La Vierge a dû interrompre sa lecture ; l’enfant divin a voulu feuilleter les riches enluminures et Marie a laissé faire tout en gardant l’index à la page abandonnée. Nous retrouverons ce même sentiment d’intime et familière humanité dans plus d’une œuvre de Jean, et c’est au moment de terminer le Retable de Gand que Jean peignit cette « amusette ». Du vaste poème théologique il passait à l’oraison familière, de la Divine Comédie à la page qu’on lit d’un regard.

Nous parlerons plus loin de l’Adoration de l’Agneau et de la part de Jean dans l’exécution du chef-d’œuvre. C’est le chapitre capital de la carrière du frère cadet ; mais après tout c’est aussi la page maîtresse de la vie de Hubert ; aussi avons-nous laissé pour la fin de notre livre l’examen du polyptyque où les deux frères associent leur gloire.

Nous avons à étudier maintenant Jean Van Eyck comme portraitiste.

Tout en achevant le Retable de Gand et tout en exécutant en 1433 et 1434 des travaux pour le duc et « Madame la duchesse »[1] Jean se mit à peindre une série de portraits inégalés et inoubliables. « Jean a fait aussi beaucoup de portraits d’après nature exécutés de la manière la plus patiente »,[2] a dit Van Mander, et les critiques modernes qui sont tentés de voir en Hubert le plus grand des deux maîtres, reconnaissent que Jean ne fut jamais surpassé comme « portraitiste réaliste ». Ils lui reprochent même d’avoir traité les figures de la Vierge, de l’Enfant Jésus et des Saints comme des portraits dont les modèles furent trop souvent mal choisis, et déplorent que ses personnages sacrés manquent de noblesse idéale !

Parmi les portraits proprement dits que l’on a conservés du maître, le plus ancien serait celui du cardinal Nicolas Albergati (musée de Vienne). Le tableau figurait dans l’inventaire de l’archiduc Léopold-Guillaume, gouverneur des Pays-Bas (1655) : « un portrait à l’huile et sur bois du Cardinal de la Sainte-Croix, original de Jean Van Eyck, qui inventa la peinture à l’huile ».[3] On crut longtemps qu’il s’agissait du cardinal Dominique

  1. De Laborde op. cit. t. Ier p, 257 et 339.
  2. Livre des peintres. Trad. Hymans, p. 39 et 40.
  3. Crowe et Cavalcaselle le donnent encore pour le portrait de J. Vydt. Cf. les Anciens peintres de Flandre etc. p. 86.