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Page:Fierens-Gevaert, La renaissance septentrionale - 1905.djvu/199

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même texte, que nous relèverons dans l’Adoration de l’Agneau, au-dessus de la Vierge qui trône à côté de Dieu le Père[1].

Le retable du chanoine Van der Paele nous conduit dans l’abside circulaire d’une église romane, peut-être la basilique de Saint-Donatien. Au delà des arcades, ouvrant sur le déambulatoire, reparaissent les vitraux lenticulaires de la Vierge du chancelier Rolin, de l’Annonciation de St-Pétersbourg, du petit autel portatif de Dresde. Leur doux rayonnement enveloppe le décor d’une lumière égale, en fait sentir l’inébranlable stabilité, fouille les magnifiques entaillures des chapiteaux, et glisse en caresse sur les colonnes trapues, presque naines si on les compare à la hauteur des personnages, convention à noter et qui sera frappante dans certaines parties de l’Adoration de l’Agneau. Assise sous un dais vert, drapée d’un manteau rouge aux plis fastueux, la Madone regarde le donateur agenouillé à sa gauche. Le front bombé de Marie, ses joues pleines, son cou robuste, l’ingénuité bourgeoise de sa physionomie, répètent en l’achevant le type annoncé par l’Annonciation de l’Ermitage et surtout la Vierge du chancelier Rolin. Le petit Jésus a la figure bouffie et ridée d’un enfant qui s’éveille. On lui reproche d’être court, maigre « sans charme et sans grâce ». N’est-il pas merveilleux au contraire que Van Eyck ait si entièrement saisi ce que la tendre enfance, même robuste, même flamande, a tout à la fois de mièvre et de vieillot ? Posé sur les genoux de la Madone et négligeant son rôle divin, Jésus n’a pas trop de ses deux petites mains pour jouer avec son perroquet et s’emparer des fleurs de sa mère. Et l’œuvre s’anime de cette humanité charmante du Sauveur et de Marie, apparue déjà dans la Madone d’Incehall et qui contient en sa fleur la libre tendresse des madones de Léonard et de Raphaël.

À gauche de la Vierge, le donateur, maître Georges Van der Paele, chanoine de Saint-Donatien — élu en 1410, décédé en 1444 vient d’interrompre ses oraisons. Il est en surplis blanc ; de ses mains courtaudes et carrées il garde son bréviaire, ses besicles en corne, ses gants. Sa tête est illustre dans l’art. Elle n’est ni belle, ni noble, ni inspirée ; elle est vraie, avec tout ce que le mot comporte de profondeur, d’acuité et d’éternelle éloquence. Chauve, avec quelques touffes maigres au dessus de l’oreille, le front osseux et dur sous la peau mince, les yeux soulignés d’une poche veinée, la bouche large, la mâchoire couverte de plis graisseux et couturés qui retombent sur un bourrelet de chair, ce chanoine, chef-d’œuvre dans le

  1. Waagen. Messager des sciences historiques. 1824, p. 191.