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Page:Fierens-Gevaert, La renaissance septentrionale - 1905.djvu/203

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Primitivement sur bois la peinture fut transportée sur toile. Ses dimensions sont un peu moindres que celles du tableau de Bruges ; l’exécution est très forte et très sûre dans le manteau bleu de saint Donatien notamment où courent des broderies d’or et un large galon historié de figures, et dans la tête du chanoine avec ses ombres fines et ses reliefs savamment gradués. Il y manque je ne sais quelle certitude suprême que ne donnent ni l’éclat peu forcé des couleurs, ni les ombres un peu trop soulignées.

La célèbre petite Sainte Barbe du musée d’Anvers[1] est signée et datée : Johannes de Eyck me fecit 1437. Ce n’est qu’une préparation de tableau. Karel Van Mander nous dit — et nous n’avons pas de peine à le croire — que les ébauches de Jean étaient plus complètes et plus précises que les travaux achevés d’autres artistes, et il signale à ce propos un petit panneau du maître « représentant une femme derrière laquelle était un paysage ; ce n’était qu’une préparation et cependant extraordinairement joli. Ce tableau appartenait à mon maître Lucas de Heere à Gand » M. Henri Hymans, dans son édition française du Schilder-Boek[2] a identifié ce panneau avec la Sainte Barbe. Bien qu’inachevée, l’œuvre, aussi clairement que le paysage merveilleux de la Madone du chancelier Rolin, nous dit à quel point Jean éprouva cette joie des grands peintres : embrasser d’un même regard un immense espace et l’enfermer dans un petit cadre. La tour inscrit dans le ciel sa borne immense, lourde et fouillée, et se détache sur les lignes ténues de l’arrière-plan avec la stabilité légère du roi de nos clochers : Saint-Rombaut de Malines. Aux pieds du géant qui proclame le génie architectural du maître, des ouvriers s’agitent, poussant des brouettes, transportant des civières chargées de matériaux, taillant, martelant, roulant des pierres sous l’auvent ménagé entre deux contreforts ; au haut de l’édifice d’autres hommes déposent les blocs hissés par la grue. Des curieux, des dames, des seigneurs à cheval circulent sur le chantier. Dans le fond, d’un côté une colline avec des prés, des champs, des eaux, des files ondulantes et parallèles de petits arbres ; de l’autre côté une ville fantastique qui s’étage en pyramide : Alexandrie, peut-être, la patrie de la savante sainte Barbe. Celle-ci est assise au centre. Les cassures multiples de sa robe remplissent la largeur du panneau ; sur ses genoux un missel ouvert ; dans sa main gauche une longue

  1. Hymans. Le livre des Peintres de Karel Van Mander, P. 40
  2. Avant d’appartenir à la collection van Ertborn d’où elle entra au Musée d’Anvers, l’œuvre était la propriété de l’imprimeur Enschede de Haarlem, qui en fit faire une gravure par C. van Noorde ; des exemplaires entrèrent au musée de Bruges et au musée de Lille où ils furent tenus pendant longtemps pour des dessins originaux de Jean. De là une confusion dont furent victimes maints critiques, notamment Passavant et l’abbé Carton.