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palme. Elle est charmante avec ses cheveux mousseux, légèrement crépus, ses paupières baissées, sa bouche pensive. Le maître incline ici vers une spiritualisation du type féminin que nous verrons s’accentuer avec la Madone à la Fontaine. Songez à l’histoire de sainte Barbe. Son père, prince païen, l’enferma dans une tour afin que nul ne contemplât sa beauté. Un messager d’Origène la découvrit et la baptisa. Furieux de cette péripétie inattendue, son père ordonna de la mettre à mort, mais tandis qu’apparaissaient les bourreaux, la muraille s’ouvrit devant la condamnée. Barbe était sauvée. Jean Van Eyck ne s’embarrasse pas des détails de la légende et il peint son héroïne dans une atmosphère si réelle, si quotidienne peut-on dire, qu’à travers les conquêtes de son génie, ressuscite soudain l’esprit populaire de l’imagier de Haekendover.

L’intérêt technique de la Sainte Barbe est considérable et doit être souligné. Le panneau est en bois de chêne et couvert entièrement d’un fond crayeux ; seul le ciel est peint en azur avec une légère teinte de pourpre. La composition proprement dite — la sainte, les personnages, les ouvriers, le paysage, la tour avec sa dentelle de gâbles, de meneaux, de contreforts — est dessinée au pinceau, finement, avec une couleur brune. Les ombres sont indiquées par des hachures, également dessinées par conséquent. Le fond est sans doute une préparation à la gomme ou au blanc d’œuf ; les parties dessinées sont sûrement exécutés à la tempera. Le ciel n’exigeant pas de dessin avait été peint directement à l’huile. Nous suivons bien ainsi les diverses phases que traversait une œuvre de Jean. Après avoir préparé son fond, dessiné son sujet à la tempera, peint son ciel à l’huile, le maître posait ses tons colorés. De quoi se composaient-ils ? On croit savoir aujourd’hui quels furent exactement les perfectionnements que les deux frères introduisirent dans la matière picturale. Ils broyaient leurs couleurs avec un vernis huileux — à base d’ambre, de mastic, peut-être aussi de sandaraque — mélangé d’un siccatif, couperose blanche ou os calcinés. Au dernier moment la térébenthine ajoutait à l’éclat des couleurs.[1] Les tons ainsi préparés, Jean procédait par glacis successifs, comme nous l’avons dit, reprenant le travail du modelé pour chaque nouvelle couche, ménageant les contrastes entre les tonalités mates et les valeurs transparentes, gardant aux dessous leur sonorité, et dosant si admirablement ses matières, qu’elles ont

  1. Cf. Kaemmerer. op. cit. p. 42. E. Michel. Etudes sur l’histoire de l’art p. 182, et Ch. Dalbon. Les procédés des primitifs, les origines de la Peinture à l’huile. Paris Perrin 1904 p. 147.

    Nous n’avons pas cru devoir aborder dans ce travail le problème des origines de la peinture à l’huile traité par nous ailleurs ( v. Psychologie d’une Ville. Paris. Alcan, ch. VII. L’âge d’or de peinture flamande.) et que nous reprendrons quelque jour.