Page:Fierens-Gevaert, La renaissance septentrionale - 1905.djvu/23

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Les princes français soutenaient avec ardeur ce mouvement. Pourvus d’un admirable instinct artistique, les Valois « firent de leur cour le rendez-vous des lettrés et des artistes, non seulement de toutes les provinces françaises, mais encore de toutes les nations. »[1] Centre intellectuel de l’Europe sous Philippe VI et Jean II, Paris voit l’apogée de son hégémonie artistique sous Charles V, qui régna de 1364 à 1380. Ce monarque, à qui plusieurs cardinaux offrirent la tiare, que Christine de Pisan appelle saige artiste, vray architecteur, deviseur certain, prudent ordeneur, Charles V construit lui-même ses édifices, s’entoure d’une suite fastueuse où l’artiste, pour la première fois, prend rang et titre. Charles V est le premier Mécène moderne. Il tire l’artiste de la foule obscure pour en faire un favori.

Capitale de l’art, Paris resta la capitale de luxe. Les grands vassaux de la couronne, les seigneurs de province y séjournaient. Les comtes de Flandre, d’Artois et de Hainaut y avaient des hôtels, ainsi que les ducs d’Anjou, de Berry, de Bourgogne. Les étrangers y affluaient. On y rencontrait des souverains comme les rois de Navarre, de Bohême, de Majorque, d’Écosse, l’empereur d’Allemagne lui-même. Cité cosmopolite comme de nos jours, elle accueillait volontiers les nouveautés. La civilisation tout entière d’ailleurs, changeait d’aspect ; elle avait perdu sa physionomie féodale ; la chevalerie mourait avec les Croisades ; une autre aristocratie s’était formée, mélangeant les dignitaires, les bourgeois enrichis, les fonctionnaires de la cour, les nobles de race, les banquiers parvenus. Dans cette société nouvelle l’argent, la pompe, les honneurs jouaient un rôle inattendu, tuaient les aspirations gothiques. Ce monde embourgeoisé voulait un art plus positif, plus matériel, plus soumis aux réalités terrestres. Cet art naquit en effet ; il créa tout d’abord le portrait, puis des corps réels et des draperies vivantes ; il ne craignit même pas, dès la fin du XIVe siècle, de pousser l’expression jusqu’à la grimace. Ces phases successives de l’évolution étaient déterminées par un effort international qui avait une tendance à se concentrer à Paris ; mais elles furent surtout constatées dans une série d’œuvres exécutées par des maîtres belges et déduites d’une série de faits intéressants des artistes de notre race.

Remarquez cette anomalie : dans les créations du XIVe siècle, conservées sur notre sol, le nouvel idéal n’apparaît qu’aux environs de 1375 ; en France, au contraire, il se montre dès le commencement du XIVe siècle et ses protagonistes sont précisément des maîtres flamands et wallons.

  1. Courajod. Leçons, V. II, p. 7.