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sonorités juvéniles et célestes ! Et que dire de ce concert de teintes inexprimables — cheveux d’or rouge, velours italiens frappés d’orfrois, bordures d’hermine et galons gemmés, couronnes de vermeil, carreaux bleus où passe et repasse l’Agneau avec sa banderole, hautes flûtes argentées de l’orgue — symphonie de couleurs, musique des anges prenant corps dans la matière la plus diaprée, la plus sonore, la plus richement harmonisée qui soit !…

Sur les panneaux de Dieu le Père, de la Vierge, de saint Jean-Baptiste des Anges chanteurs et musiciens, ruissellent des cascades de joyaux. Nous retrouverons de semblables merveilles dans d’autres parties du Retable ; leur profusion nous arrête dès à présent et réclame un commentaire.

Un mot caractérisera la bijouterie des Van Eyck : c’est de la broderie gemmée. Les billes de chape, rondes ou polylobées — et les crosses que nous verrons ailleurs, — relèvent seules de l’orfèvrerie ; le reste appartient à l’art du joaillier. Les ornements qui bordent les robes sont tous identiques. Sur un mince bandeau métallique — du vermeil sans doute — l’artiste a semé sans compter les perles et les cabochons (la taille des pierres précieuses n’ayant fait son apparition que dans la seconde moitié du XVIme siècle). Les cabochons, en outre, sont embatés et non sertis. Tous les spécimens d’orfèvrerie sont bien de l’époque du tableau ou un peu antérieurs, ce qui tendrait à faire croire que nos Flandres dès lors, ne possédaient plus guère d’objets précieux des siècles précédents. Si le Retable avait vu le jour sur les bords de la Meuse, il offrirait peut-être quelques joyaux typiques de cette orfèvrerie meusienne qui florissait avec tant de splendeur au XIIIme siècle et dont les abbayes wallonnes conservaient précieusement les chefs-d’œuvre exécutés par des moines artistes, tels que l’abbé Wibald de Stavelot ou frère Hugo d’Oignies. La rareté des abbayes en Flandre, les fluctuations de la mode dans le clergé régulier, expliquent peut-être cette absence dans le Retable d’objets fevrés plus archaïques. Les billes de chape sont en général du XVme siècle, une ou deux peut-être du XIVme — toutes apparentées à celles du célèbre trésor de Tongres. La belle couronne votive, aux pieds de Dieu le Père, est étampée, ce qui la rend plus légère, et rehaussée de cabochons, de filigranes, de perles qui profilent de délicats ornements lancéolés ou fleurdelisés. On aime à supposer que Jean Van Eyck lui-même inventait ces bijoux merveilleux, et