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sa sincérité, de sa pitié ou de son ironie. Il les peint comme il les voit. Parmi tant de surprises que réservait le Retable, celle-ci fut peut-être la plus prodigieuse. L’impression fut si considérable que tout de suite les contemporains appelèrent la chapelle de judocus Vydt : la chapelle d’Adam et Eve.

Les commentaires que ces figures ne cessèrent de provoquer nous font voir à quel point l’interprétation d’une même œuvre d’art évolue à travers les temps et combien le critique est tenté de substituer sa conception à celle de l’auteur. Lucas de Heere écrit dans son Ode[1] :

« Voyez comme Adam est là, terrible et vivant
Jamais vit-on peinte ainsi la chair du corps humain ?
On dirait qu’il refuse et repousse l’offre d’Eve
Qui lui tend avec amour une figue douce aux lèvres. »

Van Mander[2] remarque chez Adam « une expression de terreur et comme de remords d’avoir enfreint le commandement de Dieu ».

Michiels[3] admire « le sein voluptueux…, le visage régulier, noble et doux », la souplesse du corps d’Eve ; Adam, grave et triste, dit-il, a l’air de refuser le fruit… Aujourd’hui la critique ne s’étonne plus que du réalisme intransigeant du peintre, et on oppose volontiers ce naturalisme septentrional à celui de Masaccio, représentant Adam et Eve emportés par la folie du remords. Les figures de Van Eyck, dit-on, ignorent le repentir. Mais n’oublions pas que nous assistons au Mystère de la Rédemption. Et d’ailleurs Van Eyck en peignant ces immortelles images, leur a imprimé la trace indélébile du labeur, de la peine, de la vanité terrestres.

S’il n’a pas fait œuvre de penseur, il a fait une fois de plus œuvre de génie ; et son génie, mieux que jamais, triomphe de tous les obstacles techniques ; le modelé est patient et en même temps rapide, sans fadeur, ferme. Le contour des membres se précise sur le fond noir par une légère cernure blanche, — seule formule de cette peinture, libre entre toutes. Aucun souci spécial de faire jouer la figure dans l’air, mais une savante et naturelle disposition des ombres dégradées qui amène de fines lumières frisantes sur les reliefs brun-jaunâtre des chairs. Les valeurs sont contenues, juste assez pour s’équilibrer avec les grisailles représentant, au-dessus d’Adam : le Sacrifice de Caïn et d’Abel, et au-dessus d’Eve : le Meurtre d’Abel.

Ces petites scènes, enfermées dans des demi-tympans, imitent des

  1. Livre des Peintres, éd. Hymans, p. 31.
  2. Ibid. p. 31.
  3. Les peintres Brugeois, p. 47.