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le bocage de roses, de myrtes, de vignes, d’orangers, Jérusalem baignant dans l’azur, et les nuages illuminés par la lumière du Saint Esprit — j’y retrouve la main du frère cadet achevant ou reprenant l’œuvre du frère aîné avec sa science d’architecturiste, de perspectiviste, d’infaillible interprète de la Nature.

Les Chevaliers du Christ et les Juges intègres[1] cavalcadent dans une vallée de hautes roches, embroussaillées au sommet, fleuries aux anfractuosités, boisées par endroits, et dominées ici et là, de châteaux, de donjons, de montagnes lointaines. Les stratifications et fissures des roches sont si exactement reproduites, que l’on reconnaît sans hésitation qu’il s’agit de roches calcaires, telles qu’elles se rencontrent dans le pays mosan[2]. En tête des six Chevaliers du Christ chevauchent trois écuyers porte-étendard le front ceint de lauriers. Ils ont l’indécise virilité des éphèbes voués à la défense de Dieu, les grâces à la fois sereines et belliqueuses d’une Jeanne d’Arc, des physionomies d’archanges limpides et profondes…

Mais avant de contempler la beauté expressive de ce groupe, soulignons l’extrême intérêt documentaire des accessoires : armures, bannières, vêtements. La digression s’impose. L’écuyer du premier plan porte sous l’armure un vêtement tenant de la journade et du sayon, au-dessus duquel est placé la cuirasse. La jupe fanfreluchée et plissée descendant jusqu’aux genoux, est la jupe du sayon ; les longues manches tailladées, fendues par devant pour laisser passer le bras, sont celles de la journade. Cette disposition est très rare, sayon et journade recouvrant en général l’habit de fer. Les plastrons, encore dépourvus de la pansière et réunis à l’épaulière de quatre lames articulées protégeant l’arrière-bras, ont la forme des premières armures de plates de la fin du XIVme siècle et du commencement du XVme. Les mains des deux premiers écuyers sont défendues par les gantelets-mitons qui apparurent vers le commencement du XVe siècle et auxquels se substituèrent un demi-siècle plus tard les gantelets à doigts séparés. Les boucliers, aux formes chantournées, échancrées à dextre pour le passage de la lance, sont les targes dont le modèle venait d’Allemagne. Ils sont suspendus au cou par leur guige, mais la position des écuyers ne permet point de voir si le bras est passé dans

  1. On lit sur le vieux cadre du premier panneau : Cristi milites et du second : Iusti Iudices.
  2. Remarque communiquée verbalement à l’auteur par M. Bommer, directeur du Jardin botanique de Bruxelles.