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exposées aux Primitifs français notamment : la Mitre en soie blanche du musée de Cluny, l’Adoration des Mages et la Crucifixion du musée national de Florence, et surtout le fameux Parement de Narbonne que l’on attribua jadis sans raison à Jean de Bruges, puis à André Beauneveu et que, sans plus de preuves, on met à présent au compte de Jean d’Orléans, autre peintre de Charles V.

Ce Parement est un rectangle de soie blanchâtre divisé en compartiments, de telle sorte que la composition apparaît disposée en polyptyque. À gauche on voit le Baiser de Judas, la Flagellation, le Portement de Croix, à droite la Mise au tombeau, la Descente aux Limbes et Jésus jardinier. Le compartiment central représente le Christ en Croix ; des deux côtés sont des arcatures étroites montrant les portraits de Charles V et de Jeanne de Bourbon. Les souverains sont agenouillés, couronnés et surmontés des représentations de la Vraie Foi et de la Synagogue.

Au pied de la croix, les figures des saintes Femmes, d’un charme alangui, vêtues de draperies gracieusement rythmiques et fluides, sont dignes d’un maître siennois ou colonais. Des intentions profondes, marquées par exemple dans le désespoir de la Vierge étreignant le corps de son fils, n’empêchent point la mimique des personnages de tomber dans les violences d’un maniérisme grimaçant. On pressent l’art de Wolgemut. Remarquons aussi le visage douloureux du Christ. Quant aux effigies du roi et de la reine ce sont des portraits pris sur le vif, d’une sincérité simple et forte et tels qu’en pouvaient concevoir les Jean de Bruges, les Jean de Liège, les André Beauneveu. Et même plus tard les sculpteurs de la Chartreuse de Dijon donneront une attitude identique, une même ampleur de draperie, une même exactitude de ressemblance aux statues agenouillées de Philippe le Hardi et de Marguerite de Mâle. Ce Parement est un type de style composite et nous ne pensons pas que Paul Mantz écrirait encore que cette œuvre où il distingue un vieil accent de barbarie savoureuse « ne doit rien ni à l’Italie, ni à la Flandre. »[1]

Admettons que ce Parement soit de Jean d’Orléans ; l’œuvre montre à quel point l’art français était pénétré de sève étrangère. Il en est de même à ce moment de l’art belge qui, tout en représentant plus particulièrement en France l’art de l’avenir, ne laisse point de transiger avec certains archaïsmes

  1. La Peinture Française, p. 164.