Page:Fierens-Gevaert, La renaissance septentrionale - 1905.djvu/88

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française. L’originalité septentrionale de Sluter s’était affirmée avec quelque brutalité dans le Saint Jean-Baptiste et la Sainte Catherine ; elle s’atténua brusquement dans la Vierge, Sluter étant capable sans doute de s’élancer dans les voies différentes avec la soudaineté d’un Donatello ou d’un Michel-Ange ; elle reparut enfin cette originalité, définitive, incomparablement simple, dans les statues de Philippe le Hardi et de Marguerite de Mâle.

Ces portraits sont la vie même. Marguerite de Mâle, « haute et crueuse » dame, comme dit Froissart, montre un front bombé, des yeux à fleur de tête, des joues épaisses, un large menton d’où descend un cou gonflé. Malgré la mutilation de son nez et de sa joue droite, aucune méprise n’est possible sur son caractère impérieux et sans grâce. La tête de Philippe est intacte et quel document nappréciable ! Le duc avait environ quarante-cinq ans lorsque Sluter commença son portrait. Deuxième fils de Jean II, roi de France, son héroïsme sur le champ de bataille de Poitiers lui valut son surnom de Hardi. Il avait de grandes qualités : « Homme grave et habile » comme dit de Barante, il était chaste, continent et donnait à sa Cour l’exemple des vertus domestiques. Au surplus, politicien sans scrupule, soldat sans pitié — il dirigea les massacres des bouchers à Paris, permit le pillage de Courtrai après Roosebeeke, — le Hardi n’échappa point aux défauts des grands meneurs de son temps. Toutes ces nuances sont admirablement rendues dans le portrait de Sluter. Sous la calotte hémisphérique d’où s’échappent des cheveux abondants, la physionomie est dure, inquiétante malgré le sourire astucieux des yeux ; le menton s’avance comme une menace. La bouche est singulièrement méprisante. Brantôme raconte que l’épaisseur et la proéminence des lèvres que l’on remarquait chez les princes de la maison d’Autriche, leur venait des ducs de Bourgogne. Cette fameuse moue ancestrale est précisément ce qui frappe au premier abord dans la tête de Monseigneur Philippe. Pourtant ce terrible homme savait être à l’occasion un bonhomme, et à regarder son visage plus attentivement on y découvre une sorte de bonne grâce familière, — elle ne va pas jusqu’à la niaiserie comme le prétend un critique — qui peu à peu adoucit la dureté méprisante du masque.

Le manteau d’apparat de Philippe, l’ample jupe de la duchesse sont d’une simplicité grandiose. Les creux larges s’opposent aux fines arêtes avec une admirable fermeté de construction. Sous les genoux aucun zig-zag, aucune gaufrure, aucun tuyautage inutiles. Tous les plis sont naturels ; ces draperies sont vivantes et leur vie est sans la moindre complication.