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travailla également aux images de la Vierge et du Christ. Jean ou Hennequin Prindale avait collaboré à la figure de la Madeleine. Sluter s’était réservé l’exécution des six prophètes ; il les a conçus dans leurs moindres détails de forme et d’expression. On croit toutefois que son neveu mit la dernière main aux figures de Daniel, d’Isaïe et de Zacharie.

La puissante merveille s’étoffait de peintures. Sous la direction de Jean Malouel, peintre de Monseigneur, les travaux de polychromie furent entrepris en 1399. Guillaume le Paintre, demeurant à Dijon, dora la croix de pierre. Hermann de Cologne « paintre et ouvrier de dorer à plat » collabora de l’année 1401 à l’année 1403 à l’étoffage du crucifix et « autres ymages sur la pile. » Tandis qu’on peignait, une sorte de tente entourait le monument et préservait les dorures et les couleurs des atteintes du climat. Installé sous cet abri, Malouel dirigeait les enlumineurs, travaillait lui-même toute la journée et souvent pendant une partie de la nuit ; c’est lui qui étoffa la Madeleine, les anges, les prophètes.

La tunique de Moïse était rouge ; son manteau se doublait d’azur ; la chape de David, également azurée et coupée de bandes était couverte d’ornements. On peut supposer que le peintre, suivant l’usage du temps, détailla la longue cotte de samit portée par Isaïe, sa ceinture ferrée d’or, son aumusse jetée sur l’épaule, son écritoire ciselé, sa double escarcelle ornée de houppes en laines, les ferrets de ses manches, les fleurons et les rivets de son livre, si bien que le noble vieillard, pour employer une expression contemporaine, apparaissait tout harnaché d’orfèvrerie. On alla plus loin : un certain Hannequin de Hacht fournit un diadème de cuivre pour la statue de la Madeleine, et un buricle — c’est à dire des lunettes — pour la belle image de Jérémie. Ainsi rehaussé, le monument se transformait en une vraie joaillerie sans rien perdre de sa grandeur. Il devint un lieu de pèlerinage et à trois époques différentes du XVe siècle, des cardinaux accordèrent des indulgences aux fidèles qui prieraient chez les Chartreux de Champmol devant la « Grant Croix du Cloistre. »

Tout le monde a vu soit un moulage, soit une photographie de l’œuvre ; mais en vérité nos meilleurs moyens de reproduction sont encore bien imparfaits, et jamais peut-être je ne l’ai mieux senti qu’en me trouvant devant les prophètes de Sluter, sur le fragile balcon de bois qui surplombe l’eau dormante du Puits. Si la polychromie de jadis a presque entièrement disparu, le temps s’est chargé d’enluminer à sa manière — manière subtile