Page:Fierens-Gevaert, La renaissance septentrionale - 1905.djvu/92

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reste plus au musée archéologique de Dijon que l’émouvante tête du Sauveur, d’une majesté inexprimable avec ses paupières baissées, sa longue chevelure, sa barbe ample, son émotion à la fois retenue et violente qui annonce le pathétique de Michel-Ange.

Les six prophètes : Moïse, Daniel, Isaïe, David, Zacharie, Jérémie, ont chacun une personnalité qui s’affirme bien plus par la poésie des expressions individuelles que par le réalisme des physionomies. Moïse respire une énergie auguste et comme illuminée ; ce n’est point toutefois la plus belle des statues bien qu’elle ait donné son nom au monument ; les draperies gardent la lourdeur du manteau de la figure de Saint Jean-Baptiste au Portail. Mais la tête émerge avec une force divine des flots hiératiques de la barbe et l’on comprend qu’elle ait frappé de tout temps les foules. D’une main le législateur tient les tables de la loi ; de l’autre un rouleau où se lit cette légende : « La multitude des fils d’Israël immolera un fils vers le soir. »

Cette énergie n’a plus la même sérénité chez Daniel ; elle est plus humaine, plus dure, plus agressive. D’un doigt impérieux le prophète montre son phylactère où on lit : « Après soixante générations le Christ sera occis. » Isaïe porte ce texte : « Comme une brebis à la boucherie on le conduira et comme un agneau en présence du tondeur il sera muet et n’ouvrira pas la bouche. » Son front élevé et nu, ses yeux profonds, sa bouche amère qu’encadre une barbe longue et fine le font ressembler aux grands vieillards de Léonard de Vinci. — David couronné et bouclé est plus conventionnel et rappelle les statues des cathédrales françaises, moins la noblesse. Sur son phylactère, ces mots : « Ils percèrent mes pieds et mes mains et dénombrèrent mes os. » — Zacharie sous son bonnet hébraïque montre une figure douloureuse et accablée ; il pleure en déroulant cette phrase : « Ils ont apprécié ma rançon à trente pièces d’argent. » — Jérémie, à mon sens, est l’œuvre la plus tragique et la plus noble. Il est impossible d’exprimer la gravité, surhumaine de ce visage qui commente, qui vit ces mots avec une effrayante simplicité : « O vous qui passez, voyez s’il est douleur comparable à ma douleur. »

Des consoles décorées de feuillages habilement creusés servent de supports aux six statues et sont l’œuvre en partie de Pierre Beauneveu, de même que les sveltes colonnettes placées entre les prophètes. Ces tiges de pierre sont surmontées de délicats chapiteaux taillés par Jean Hulst ; les anges merveilleux qui en surgissent comme de mystiques cariatides et qui rassemblent leurs longues ailes pour soutenir le Calvaire, furent exécutés par Sluter avec l’aide de son neveu Claes Van de Werve. Ce dernier