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Page:Fierens-Gevaert - La Peinture en Belgique, volume 1.djvu/44

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qu’elles ont résisté aux siècles et que les siècles même ont ajouté une inappréciable patine à ses tons d’émail, d’or et de gemmes.

La petite Madone à la fontaine (Musée d’Anvers) et le Portrait de la femme du peintre (Musée de Bruges) sont les deux dernières œuvres connues du maître. La Madone d’Anvers (Fig. XIII), signalée dans un inventaire de Marguerite d’Autriche en 1524, est datée de 1439. Il en existe de nombreuses répliques, (dessin au Cabinet des estampes de Berlin, copie avec variantes au Musée de la même ville, réplique au Musée de New-York, etc.), et l’œuvre doit sans doute sa célébrité à son caractère exceptionnellement doux. Nous ne sommes plus dans une église, mais en plein air ; le maître n’a point changé de modèle pour la Vierge ; mais l’inclinaison affectueuse de la tête de Marie, l’attitude de Jésus, les fleurs qui s’épanouissent en buissons épais dans le fond, sont des nouveautés qui enrichissent l’art de Jean van Eyck et viennent ranimer d’une haleine de mysticisme juvénile la noble maturité du maître. Il se peut que le génie de Stephan Lochner, — si vivement épris de la nature végétale et qui créait, en 1435, la Vierge en rose du Musée diocésain de Cologne, — ait déterminé cette ascension suprême du maître flamand.

Sur le haut du cadre qui entoure le portrait de la femme de Jean van Eyck (Fig. XIV, Musée de Bruges), on lit : Conjux meus Iobes me complevit año 1439, 17 lunii ; et sur la bordure inférieure : Etas mea triginta triū anoru. Als ik kan. Ce portrait appartenait autrefois à la corporation des peintres et selliers et décorait la chapelle de cette gilde, bâtie en 1462 et devenue la chapelle des sœurs « ligouristes » dans la Noordzandstraet, à Bruges. L’effigie du maître lui-même, — perdue hélas ! — faisait pendant à celle de sa femme, laquelle fut retrouvée… au marché aux poissons de Bruges en 1808 ! Dans cette jeune femme de trente-trois ans, aux chairs blanches, délicatement rosées, aux cils blonds, aux imperceptibles sourcils d’or, — les blondes seules étaient belles aux yeux des Flamands d’autrefois, — on veut voir à tout prix une bourgeoise pincée, désagréable, monacale, laide, — et l’on plaint le maître. Mais comment ne point paraître un peu embéguinée sous cette coiffure que flanquent les truffauds cornus et rembourrés ? Les lèvres sont un peu minces, il est vrai, mais les traits sont fins, réguliers, distingués ; la main est exquise. Y a-t-il là de quoi gémir ? Et jamais Jean van Eyck ne peignit avec plus d’âme ; son pinceau a de merveilleuses caresses pour traduire l’épiderme transparent et frais, pour peindre l’ombre douce et tiède où baigne la jolie oreille ; et les sinuosités microscopiques de la ruche qui borde la coiffe blanche sont détaillées avec tant de finesse que jamais elles ne se confondent. Jean van Eyck arrivait au terme de sa carrière sans défaillance, sans la moindre diminution de son génie ; c’est avec orgueil, j’imagine, qu’il dédia ce merveilleux ex-voto à sa jeune