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de même, la Fontaine de vie est presque entièrement repeinte ; le diacre en dalmatique qui précède saint Liévin a le col de sa chasuble visiblement refait ; des repeints sont sensibles un peu partout, notamment dans les ombres des draperies ; les têtes seules restent à peu près intactes. Toutefois, les personnages à droite et à gauche de la Fontaine, l’autel et les anges doivent être de la main de Hubert ; il y a une certaine gaucherie dans la manière de rassembler les figures en groupes épais et dans la déclivité excessive d’une pelouse dont les tonalités verdoyantes ne sont point dégradées. Quant au troisième plan — les deux théories d’Élus, le bocage de roses, de myrtes, de vignes, d’orangers, Jérusalem baignant dans l’azur, et les nuages illuminés par la lumière du Saint-Esprit, — j’y retrouve la main du frère cadet achevant ou reprenant l’œuvre du frère aîné avec sa science d’architecturiste, de perspectiviste, d’infaillible interprète de la nature.

Nous devons nous borner à signaler les Chevaliers du Christ et les Juges intègres (Musée de Berlin) qui chevauchent dans une vallée rocheuse dont les stratifications, au dire des géologues, ont une justesse scientifique (d’après la tradition Hubert et Jean figurent parmi les Juges), et les Ermites et les Pèlerins (même Musée), raccourci d’humanité vivante et variée, cheminant dans un paysage de cyprès, d’orangers, de pins parasols sur lesquels flottent de merveilleux nuages où des oiseaux filent droit, planent, ou se posent en tournoyant… Ici encore la beauté du détail et la grandeur de l’ensemble s’harmonisent pour nous confondre. Toute la somptuosité bourguignonne s’incarne dans les Chevaliers et les Juges, parés de damas et de samit pour quelque solennelle ambassade ; toute la Flandre croyante est dans les Ermites et les Pèlerins sous ses divers aspects : humilité, énergie, contemplation, extase, repentir.

Quelle est la part respective de chacun des deux frères dans l’exécution du chef-d’œuvre ? Il nous semble que l’Agneau mystique, les Chevaliers, les Juges, les Ermites, les Pèlerins sont de l’aîné, sauf la plus grande partie du paysage ; on doit accorder aussi à Hubert la conception des trois grandes figures de Dieu le Père, de Saint Jean-Baptiste et la Vierge que Jean acheva. Tout le reste est l’œuvre du cadet : Anges chanteurs et musiciens, Adam et Ève, volets extérieurs. Mais le grand mérite de Jean van Eyck consiste dans l’unification du chef-d’œuvre qu’il garda six ans dans son atelier. Il est impossible qu’au bout de ce temps l’illustre maître n’ait pas marqué le retable entier de son sceau.

Nous ne pouvons plus contempler en Belgique que la partie fixe du polyptyque conservée à Gand, et les figures d’Adam et d’Ève exposées au Musée de Bruxelles. Nous parlerons plus tard des intéressantes copies de Michel Coxcie qui complètent le Retable à la cathédrale de Saint-Bavon. Disons, dès à présent, que