Page:Fierens-Gevaert - La Peinture en Belgique, volume 2.djvu/302

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

322 LES PRIMITIFS FLAMANDS

de la mémoire de leur père ». On peut s'imaginer dès lors combien est difficile et laborieuse la tâche du critique venant trois siècles plus tard. Mais la science moderne accomplit des miracles. En attendant que l'on retrouve « certains livres » où Moro avait noté les faits marquants de son existence (heureux le chercheur qui mettra la main sur de tels Mémoires !) on s'est exercé à reconstituer la vie du maître à l'aide de bouts de chroniques, de lettres, de mentions d'archives. Avec Moro nous sortons du cadre de notre « guide » à travers l'art primitif des Pays-Bas méridionaux. Mais comment ne point présenter, — fût-ce avec l'obligation d'être bref et en courant le risque certain d'être incomplet — celui qui a si merveilleusement reproduit et compris les acteurs de nos drames religieux du XVI' siècle ?

• *

Né à Utrecht vers iSiç, Antoine Mor (il devint Moro à dater de ses relations avec les Espagnols et « van Dashort » vers 1540) comptait, croit-on, des artistes parmi ses ancêtres. Il se forma à l'école de Jan van Scorel, lequel était peintre, humaniste, poète, musicien, dramaturge, philologue, ingénieur, — une sorte d'Alberti ou de Vinci néerlandais. L'œuvre la plus ancienne de Moro serait une composition rassemblant les portraits de cinq pèlerins de Terre Sainte (un peu après 1541. Musée de la Kunstlicfde, Utrecht). L'art de Scorel s'y prolonge, mais avec plus de liberté. Viennent ensuite au Musée de Berlin, le portrait de deux autres pèlerins (1544) et au Musée de Lille, un portrait de vieille dame, caractéristiques de la jeunesse du maître. Il faut, semble-t-il bien, abandonner l'hypothèse d'un premier voyage fait par Moro à Rome à cette époque. En 1547 l'artiste était reçu franc-maître à la Gilde des peintres d'Anvers et, la même année, un fabricant de tapisserie de haute-lisse, Jehan Bauldouyn (ou Baudouyn ou Baudouyns), déclarait que Moro lui avait fait l'avance de deux cent cinquante carolus d'or. Notre peintre, âgé seulement de vingt-huit ans, avait déjà con- quis une belle place au soleil.

Sa fortune allait grandir rapidement. Granvelle le remarque et l'attache à sa personne. En 1549 l'artiste peint le beau portrait du prélat qui est au Musée de Vienne ; cette fois toutes les qualités d'énergie, de loyauté, d'observation puissante propres à Moro peuvent se relever dans cette œuvre qui fait songer au Tintoret. Et Je la même année date un merveilleux portrait du duc d'Albe (aujourd'hui dans la galerie de la Hispanic Society, New-York) première version de l'Alvarez de Tolède qui est au Musée de Bruxelles. Voilà donc Moro devenu peintre officiel. Il résidait à Bruxelles dans la maison même de Granvelle « in casa mia » écrit l'évêque d'Arras, soit dans la