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morales ; on se perd, en un mot, dans la vaine subtilité des théories de la scolastique. Aussi l’expérience est-elle à peine invoquée, et quand on essaye d’y recourir, c’est toujours sur des sujets puérils que va s’exercer l’imagination des physiciens. On entreprend des recherches mécaniques pour expliquer les sons de la statue de Memnon, le jeu mystérieux de l’orgue du pape Sylvestre, ou le vol de la colombe d’Architas ; on écrit des volumes pour découvrir les causes de la dissolution du veau d’or, ou pour savoir combien de milliers d’anges pourraient tenir, sans être pressés, sur la pointe d’une aiguille.

C’est au milieu de cette période de l’histoire des sciences, lorsque la physique n’existait pas encore, que tous les écrivains se sont accordés jusqu’ici à placer la découverte de la machine à vapeur.

En France, c’est à Salomon de Caus, architecte et ingénieur obscur, qui a écrit, en 1615, son livre les Raisons des forces mouvantes, que l’on a décerné l’honneur de cette invention. Il n’y a qu’une voix en Angleterre pour l’attribuer au marquis de Worcester, politique brouillon et mécanicien contestable, qui vivait sous les derniers Stuarts. Enfin les écrivains italiens revendiquent pour leur pays la première invention de la machine à feu, en invoquant, à ce sujet, les titres du physicien Porta, qui écrivait en 1605, ou ceux de l’architecte Giovanni Branca, qui a publié à Rome, en 1629, un ouvrage sur les machines.

Dans une histoire sérieuse de la machine à vapeur, tous ces noms devraient être écartés. On ne peut avoir songé à construire une machine ayant pour principe la force élastique de la vapeur d’eau, à une époque où l’on confondait avec l’air atmosphérique les fluides qui se dégagent des liquides en ébullition ; quand on ne possédait, sur les effets mécaniques de la vapeur, que ces notions confuses, acquises depuis des siècles par l’observation vulgaire, et ne se liant à aucune vue théorique ; lorsque les principales lois de l’hydrostatique étaient encore un mystère, lorsque les premiers linéaments de la physique générale étaient à peine tracés. Cependant, comme l’opinion contraire, établie sur l’autorité des noms les plus considérables de la science, a joui longtemps d’un grand crédit, nous sommes tenu de l’examiner avec attention.

Fig. 7. — Galilée.

Les raisons des forces mouvantes avec diverses machines tant utiles que plaisantes, ausquelles sont adjoints plusieurs desseings de grotes et fontaines, par Salomon de Caus, ingénieur et architecte de Son Altesse Palatine électorale, tel est le titre de l’ouvrage qui renferme, dit-on, la description de la première machine à vapeur connue.

M. Baillet, inspecteur des mines, est le premier qui, au commencement de notre siècle, ait signalé, dans le livre, profondément inconnu jusque-là, de Salomon de Caus, un théorème relatif à l’action mécanique de l’eau échauffée, et qui ait prétendu trouver dans les dix lignes de ce théorème l’idée de la ma-