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qui fut établi par Fulton sur ce bateau, aujourd’hui historique. On voit ce mécanisme représenté dans la figure 98, d’après le dessin qu’en a donné M. Woodcroft, dans l’ouvrage que nous avons plusieurs fois cité : Origin and progress of steam navigation.

Il est facile de voir que les dispositions de la machinerie à vapeur du Clermont sont presque en tout semblables à celles de nos bateaux à vapeur actuels. Le balancier latéral, les roues à aubes, les deux cylindres, qui sont les dispositions fondamentales du mécanisme des bateaux à vapeur de nos rivières, sont manifestement dus à Fulton, qui les avait établis sur son premier bateau, en 1807.

Cette considération suffit bien pour montrer toute la valeur de l’œuvre accomplie par l’ingénieur américain. Fulton profita sans doute de toutes les idées émises avant lui ; mais il sut en composer un ensemble harmonieux, qui avait, on peut le dire, tout le mérite d’une création originale.

Cependant, la belle entreprise de Fulton, qui avait été si mal appréciée en Europe, n’était pas accueillie dans son pays, avec plus de faveur. Toute la ville de New-York condamnait ouvertement une tentative si hardie, et blâmait les proportions considérables de son navire. Il n’y avait pas dix personnes croyant à son succès, et l’on ne désignait son bateau que sous le nom de la Folie-Fulton. Comme les dépenses de construction avaient excédé de beaucoup leurs calculs, Livinsgton et Fulton proposèrent de céder le tiers de leurs droits à ceux qui voudraient entrer pour une part proportionnelle dans les dépenses. Personne ne profita de cette offre, qui fut regardée comme l’aveu secret d’une prochaine défaite.

Au mois d’août 1807, le Clermont était terminé. Il sortit, le 10 de ce mois, des chantiers de Charles Brown, et le lendemain, à l’heure fixée pour son essai public, il fut lancé sur la rivière de l’Est.

Fulton monta sur le pont de son bateau, au milieu des rires et des stupides huées d’une multitude ignorante. Mais les sentiments de la foule ne tardèrent pas à changer, et au signal du départ, lorsque le bateau se mit en marche, des acclamations d’enthousiasme vinrent venger l’illustre ingénieur des indignes outrages qu’il venait de recevoir. Le triomphe qu’il éprouva dans ce moment, dut le consoler des critiques, des dégoûts, des obstacles de tout genre qu’il avait rencontrés dans l’exécution de sa glorieuse entreprise.

« Rien ne saurait surpasser, dit Colden, son biographe et son ami, la surprise et l’admiration de tous ceux qui furent témoins de cette expérience. Les plus incrédules changèrent de façon de penser en peu de minutes, et furent totalement convertis, avant que le bateau eût fait un quart de mille. Tel qui, à la vue de cette coûteuse embarcation, avait remercié le ciel d’avoir été assez sage pour ne pas dépenser son argent à poursuivre un projet si fou, montrait une physionomie différente à mesure que le Clermont s’éloignait du quai et accélérait sa course ; un sourire d’approbation était sensiblement remplacé par une vive expression d’étonnement. Quelques hommes dépourvus de toute instruction et de tout sentiment des convenances, qui essayaient de lancer encore de grossières plaisanteries, finirent par tomber dans un abattement stupide, et ce triomphe du génie arracha à la multitude des acclamations et des applaudissements immodérés[1]. »

Fulton, qui était demeuré insensible aux marques de mépris de ses compatriotes, ne se laissait pas détourner, en ce moment, par les témoignages de leur admiration. Il était tout entier à l’observation de son bateau, afin de reconnaître ses défauts et les moyens de les corriger. Il s’aperçut ainsi que les roues avaient un trop grand diamètre et que les aubes s’enfonçaient trop dans l’eau. En modifiant leurs dispositions, il obtint un accroissement de vitesse.

Cette réparation, qui dura quelques jours, étant terminée, Livingston et Fulton firent annoncer par les journaux, que leur bateau, destiné à établir un transport régulier de

  1. The life of Robert Fulton, by his friend, C.-N. Colden. New-York, 1817, in-8, p. 168.